Normandie et îles Anglo-Normandes, jour 5

De Carolle à Granville

Vers Granville

Je continuai sur les falaises après avoir retraversé la vallée du Lude bien moins lugubre que de nuit. Un vent de plus en plus soutenu soufflait et me glaçait. C’est à Jullouville que je rattrapai la civilisation et que la randonnée devint moins intéressante. Cette station balnéaire est toutefois pleine de charme. Les maisons en pierres grises, aucun immeuble et ces baraque-ments en bois peints au style belle époque. J’y trouvai en outre un café qui me fit le plus grand bien. Un dé-tour par les terres me permit d’éviter de longer la longue plage monotone pour approcher de ma desti-nation.

L’arrivée sur Granville fût quant à elle somptueuse. Le sentier me fit contourner tous les quartiers d’habitation par des petits sentiers surplombant les falaises. Je gardai donc vue sur l’océan et la pointe de Grouin – le Mont-Saint-Michel m’était caché depuis Carolles Plage – et voyait s’approcher cette étonnante cité corsaire perchée sur son roc et dominant un large port.

Granville

J’arrivai en début d’après-midi au centre et fit un tour de la vieille ville. Granville est impressionnante. On y est projeté dans un film de pirate. Les bâtiments perchés sur le roc semblent tous d’époque et dominent la mer et le port. Au loin, on voit l’archipel des îles Chausey et Jersey un peu plus loin. Le port en-dessus est immense, de grandes digues le protègent des assauts de l’océan et il semble deux fois plus grand que la ville. Je fs un tour du roc, m’extasiant de cette ambiance. De gros nuages gris étaient arrivés en même temps que moi et faisaient claquer les drapeaux dans le vent.

Je me baladai presque toute la journée. Il se tenait un festival du crustacé Toute la mer dans l’assiette réputé dans la région et une activité étonnante animait le port. Je m’y achetai un bonnet et des gants car le vent était sans pitié et me faisant craindre pour les jours à venir en mer. Je ne trouvai pas le Spirit of Conrad dans la forêt de mâts qui peuplait le port, mais trépignais d’impatience à l’idée d’embarquer. Dans ma tête raisonnait la musique d’introduction du film de l’Île au trésor de 1990, alors que Billy Bones arrive en barque à l’Auberge de l’amiral Bebow The Chieftains, Loyals March.

Sirius l’indompté

Durant mon exploration de Granville, j’entendis soudain une petite voix aiguë : « Houhou, Monsieur ». Je regardais autour de moi et voyais une vieille dame qui me faisait signe. Je traversais la route et elle me dit:

―Mon chien refuse de sortir de la voiture. Ça fait trois jours qu’il me fait ça. Si c’est vous qui l’appelez, il viendra. Pourriez-vous aller vers ma voiture et lui dire de venir, il s’appelle Sirius.

Très étonné, j’obtempérai et appelai ce cher Sirius à une distance respectueuse du garage de la dame. Un aboiement tonitruant me répondit si fort que j’en sursautai. La dame me demanda d’approcher. Je trouvai un chien noir immense et menaçant, visiblement apeuré par je ne sais quoi et qui me rugissait dessus, retranché dans une minuscule voiture de laquelle il semblait décidé à rester. J’appelai Sirius, mais Sirius ne vint pas.

―Nous allons essayer autre chose, me dit la dame. Je vais le pousser depuis l’arrière, et vous le tirerez par le collier.

Je fis remarquer à la dame que Sirius, qui faisait la taille d’un poney, semblait peu enclin à se laisser tirer par un étranger. En effet, plus j’approchais, moins son comportement me donnait envie de poursuivre. Je l’appelai, avec douceur, avec autorité, avec des grands gestes… rien à faire.

―Ne vous en faite pas, il n’a jamais mangé personne, me dit-elle amusée. Vous avez peur des chiens ?

―Oui, répondais-je sans honte.

Mais je fis un effort et m’approchai. La créature hurlait. Elle semblait véritablement paniquée, au moins autant que moi. La vieille dame commença à le pousser et m’exhorta à l’aider. N’écoutant que mon courage, j’évitais les crocs acérés du monstre et lui saisissait le collier. Je tirai, je tirai fort, mais rien n’y fit. Sirius voulait donc décidément rester dans la voiture. Il ne me mordit pas, mais je ressortais de cette confrontation avec un gros filet de bave sur l’avant-bras et des genoux tremblants.

Voyant le résultat, la dame me dit de lui saisir les pattes avant. Je répliquai en reculant qu’elle devait s’adresser à un dresseur de lion et que même si je voulais le porter, je n’y arriverais pas. La bête devait être plus lourde que moi.

Sirius se retrancha sur sa banquette, je me retranchai sur ma prudence. On m’a toujours dit qu’un chien ne mordait que lorsqu’il était effrayé. Sirius paraissait terrorisé et il avait les moyens de m’arracher un bras sans trop d’efforts. Sa maîtresse semblant perdre un peu de son assurance me dit qu’elle allait chercher un voisin qui connaissait bien Sirius plutôt que me former comme dresseur de fauve. J’approuvai et partait sans trop de regret.

Malgré notre échec, j’étais assez fier de mon combat contre Sirius. L’animal était réellement terrifiant et je l’avais empoigné par le collier comme un vulgaire chien de salon.

J’allai me remettre de cette aventure dans un endroit merveilleux, La Rafale, un bar à bière/rhumerie/bar à jeux où je buvais une triple locale, fermentée avec trois levures différentes et qui m’enchanta. En sortant, un caniche m’aboya dessus. Je le toisai avec le dédain de ceux qui en ont vu d’autres. Je mangeai ensuite une crêpe aux andouillettes dans une crêperie qui avait comme grand avantage d’offrir une grande cheminée. Il faisait très froid au dehors et j’y passai une soirée délicieuse.

En sortant, je fis un tour du roc. La nuit était noire et les phares, tant de Granville que des alentours (et il y en avait beaucoup) diffusaient leurs lumières d’avertissement. Quelle vision ! Le bruit des vagues s’écrasant dans l’obscurité en contrebas, ces lumières d’alerte comme pour mener un combat constant contre l’océan. Tout à Granville semble tourner autour de la mer. Elle est pourtant une bienfaitrice cruelle pour que tant de précautions lui soient dédiées.

Rock de Granville