Remise en question de ce journal. L’écrire m’apporte toujours, le publier moins parce que j’écrème ce qui touche à l’intime. Certaines périodes, avec leurs questionnements, ne se prêtent pas à cet exercice de diffusion, car je n’ai rien envie d’y dire, ou moins de temps. Sa forme m’ennuie également : les dates ne servent à rien et limiter la portée d’une note à une journée contraint ma liberté à les développer. Ce blog, que je qualifie toujours d’espace d’expérimentation, contient essentiellement des itinéraires de randonnées, des recettes de bière et mon journal avec des réflexions que je souhaite aussi généralistes que possible. Cette distinction me dérange, car le journal pour être bien compris devient dépendant des articles utilitaires, qui eux sont froids et vides. L’idée me vient de le fusionner aux sujets autant que possible.
Le méli-mélo des thématiques ne m’inquiète pas, tout peut cohabiter comme les blogs que j’ai suivis me l’ont montré : Feu Page42 de Neil Jomunsi qui allait de la création littéraire à la reliure artisanale ; celui de Thierry Crouzet entre cyclisme, littérature et processus de création ; le vidéo-journal de François Bon qui forme à l’écriture tout en partageant des idées sur la photographie, l’édition et Lovecraft ; ou encore Ploum qui narre son rapport aux technologies et son travail d’écriture. Je ne devrais pas avoir de peine à passer de la brasserie à la rando au Pilates pour finir sur un peu de jardinage.
D’un autre côté, une absence de structure, une construction au gré des évènements et des inspirations, me plait, tout comme la publication en mois qui me discipline et me motive. Pourquoi pas une fusion des deux ? Lors d’un article plus utilitaire, y mélanger mes réflexions, et conserver un journal mensuel sans division par date, plus libre, comme une succession de pensées.
Je décide d’essayer. Je fais disparaître la mention journal des titres, car tout le sera et arrête les entrées aux jours. D’autre part, les articles thématiques seront tant d’informations factuelles, comme les recettes de bières ou les itinéraires de randonnées, et contiendront aussi les réflexions plus personnelles qui y sont liées. Le site sera un peu plus un foutoir, est-ce vraiment une mauvaise chose ?
Tu te prends pas un peu trop la tête ? me demande-t-on alors que je partage ces questionnements. C’est certain, c’est bien le but.
Plaisir photographique dans les Bauges
Je retourne cet été en Terre du milieu. Après le Hobbit, le Seigneur des anneaux, je me farcis enfin le Silmarillon et son indigeste concision qui m’avait jusqu’ici tenu en respect. Sans être un grand amateur des créateurs de monde comme Tolkien, la richesse de son univers me laisse sans voix, et je perçois une dimension esthétique bien plus nettement qu’à mes premières lectures. L’idée notamment de la création conçu par la matérialisation d’un chant est délicieuse et figure bien cette poésie générale à toute l’œuvre. C’est elle, beaucoup plus que la cohérence et le sens du détail, qui me fait dévorer ces quelques milliers de pages.
Et après les ouvrages, impossible de ne pas revoir les films. Je m’émerveille de retrouver la trilogie de l’anneau sans une ride, étonné par son avant-gardisme, son originalité et ses qualités visuelles. Tout est sale, crasseux dans les moindres recoins, furieusement réaliste et harmonieux avec l’univers et la déchéance du troisième âge. Je prends un pied magistral à redécouvrir cette œuvre avec les yeux du cinéphile que je n’étais pas encore alors que je les visionnaient des dizaines de fois adolescent. Mais l’ado ébahi est toujours là, de même que les frissons.
Les adaptations du Hobbit, à l’inverse, me surprennent d’autant plus par l’énorme gâchis qu’elles composent. Alors que je regarde les versions longues, il me semble évident qu’une version courte serait de meilleur ton. Les effets spéciaux crèvent l’écran, comme si un filtre Instagram de mauvais goût était passé sur la terre du milieu. La sobriété formidablement dosée de la première trilogie est troquée contre une orgie de paillettes, et le souffle héroïque hérité de son grand frère pèse comme un boulet à la légèreté originelle du roman. La richesse des innombrables bonnes idées est hélas occultée par toute cette facilité et la médiocrité qu’elle crée.
Et au-delà de ces diverses comparaisons et redécouvertes, un point d’importance capitale attire ma curiosité. Il y a dans les Seigneur des Anneaux une chose que je n’avais jamais remarquée et qui pourtant me semble impossible à louper… un pet !
C’est lors de la scène du Lembas, où Legolas explique à Merry et Pippin qu’une bouchée de ce pain elfique suffit à nourrir une personne pour la journée. Pippin, indisposé, avoue en avoir mangé quatre avant de laisser tonner une énorme flatulence. Pensant à un ajout pour le Blueray, comme pour Star Wars et ses plus ou moins heureuses retouches au fil des éditions, j’essaye de retrouver la scène telle que je m’en souviens. Je découvre alors que la version française ne comporte pas le même bruitage que la version originale quant aux digestions hobbit… perplexité et incompréhension !
C’est en rédigeant le journal de mon voyage dans les Bauges que je mets le pied dans les difficultés de mélanger l’aspect pratique de ce site à ma volonté d’y mêler des réflexions plus générales. Alterner les paragraphes de l’un et de l’autre alourdit, scinder les deux n’a pas plus de sens qu’une séparation en articles distincts. Pourtant, si la complexité grandit, l’intérêt également. S’agissant juste de partager des itinéraires, Komoot ferait l’affaire. Je découvre ici la liberté de lier mes pensées avec leur contexte, d’enrichir l’un par l’autre. Est-ce que Voyage avec un âne dans les Cévennes serait aussi délicieux sans cet équilibre, est-ce que je lirais les récits de Bikepacking de Thierry Crouzet s’il n’y diffusait pas au fil des kilomètres parcourus sa perception du cyclisme et de la trace ?
J’ai toujours songé, naïf, que parce qu’il faut puiser dans son imagination, la fiction était la plus complexe à écrire. Je réalise mon erreur.
Lavaux
Proust, A l’ombre des jeunes filles en fleur :
je sentis une fois de plus ma nullité intellectuelle et que je n’étais pas né pour la littérature. […] Il venait de m’apprendre au contraire quelle place infime était la mienne (quand j’étais jugé du dehors, objectivement, par le connaisseur le mieux disposé et le plus intelligent). Je me sentais consterné, réduit ; et mon esprit comme un fluide qui n’a de dimensions que celles du vase qu’on lui fournit, de même qu’il s’était dilaté jadis à remplir les capacités immenses du génie, contracté maintenant, tenait tout entier dans la médiocrité étroite où M. de Norpois l’avait soudain enfermé et restreint.
J’ai abordé Proust sans savoir dans quoi je m’embarquais, sans idée de ce que j’allais y trouver. J’espérais vivre l’extase esthétique dont parlent beaucoup d’auteurs avec tant d’émotion (il me reste quelques milliers de pages, l’espoir est encore permis). Je crois que ce qui me marque le plus est son habileté à transmettre au lecteur des états émotionnels. Je m’arrête souvent, interloqué par la justesse de ses formules. Je me retrouve mal à l’aise en le lisant, partageant l’inconfort du personnage, ou au contraire, un sourire béat dans des situations plus heureuses.