Décembre 2022

Lucrèce était un menteur ! La science ne libère pas l’homme de la terreur des dieux !
Tout, autour de lui, proclamait cette vérité – le soleil se déplaçant le long des crêtes, les amoncellements de nuages poussés par le vent, la végétation luxuriante.
— Frank Herbert, Le preneur d’âmes.

Cette façon qu’a Frank Herbert d’utiliser le roman ou la nouvelle comme laboratoire m’enthousiasme. Chacune de ses histoires traite une multitude de thématiques, émet des théories, les explore, les contredit, les creuse. Le plus radical en ce sens est sûrement l’Empereur Dieu de Dune, plusieurs centaines de pages d’essais, organisés en fiction autour des discussions entre Duncan Idaho et Leto II.


Flaine


À travers son personnage de l’amérindien révolté du preneur d’âme, Herbert expose l’idée du langage-corps. À mettre des mots sur le monde, on s’en éloigne, on crée une distance entre le langage et l’action. Le langage-corps serait ce que disent nos actions plutôt que nos mots. Parlant de réchauffement climatique avec un sourire résigné, le langage endosse la révolte alors que notre action embrasse avec une passivité et un amusement morbide cet état de fait.

La philosophie m’apporte des mots qui jalonnent des questionnements. Ils me servent de supports pour me les approprier et en amenant ma réflexion à évoluer, évoluer moi-même. Ce journal, des mots alignés, forme une pièce essentielle de ce processus. Aussi, l’idée que le langage m’éloigne du monde, m’agace, elle relève pourtant cette facilité à se reposer sur les mots, pour oublier ce que dit vraiment notre existence. Une écrasante majorité des habitants de mon pays se réclament écologistes, et malgré tout, les dernières votations pour l’environnement ont été refusées. En donnant la primauté sur ce qu’on dit tout en laissant de côté ce qu’on fait, nous ne valons pas mieux qu’un politicien s’étouffant avec une énorme langue de bois.

Et si la recherche d’harmonie avec mon langage-corps expliquait la satisfaction des gestes écologiques de mon quotidien ? L’action individuelle ne suffit pas sans une réponse globale, multiple. Mes “engagements écologiques” n’ont pas pour but de changer le monde et ne sont pas motivées par une culpabilité. Je suis loin d’un écologiste colibri, je suis un écologiste égoïste. Savoir qu’un produit vient de l’autre côté du globe, que son achat participe à un système intenable, m’enlève tout plaisir à le consommer, ainsi qu’utiliser la voiture pour aller prendre l’air entame la jouissance d’une balade que je pourrais faire à vélo ou proche de chez-moi. Rendre le voyage rare, précieux, me permet de l’envisager dans toute sa valeur et de consentir aux nuisances qu’il implique.

Me voilà à nouveau ramené, avec le langage-corps, à cette phrase : “être libre, c’est agir d’une façon qui me ressemble”.


La Côte


Il nous est expliqué dans les médias que l’occident va devoir comprendre que « l’abondance c’est terminé ». […] L’immense majorité de cette dite abondance, en réalité est un poison addictif qui génère des dépendances et atrophie nos possibles.

Aurélien Barrau, A-t-on encore besoin d’ingénieurs ?

Lire et écouter Aurélien Barrau m’angoisse et me réjouit. Nous sommes mal barrés si l’ampleur du changement requis est telle. Pourtant, l’horizon qu’il décrit comme nécessaire correspond tellement à mes aspirations pour le monde. Se débarrasser du superflu, du toxique, élever l’humain vers autre chose. La rage reste que c’est la direction opposée qui est empruntée, collectivement ou imposée.

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