Journal – février 2021

1er février 2021

Ma mère amusée par le mot la zététique, qu’elle découvre dans les Dicodeurs du 20 mars (à 48min50), me le partage. Si je ne suis pas certain de réussir à distinguer la zététique de la notion d’esprit critique, j’apprécie toutes ces implications. L’art de douter, ce n’est pas douter de tout ou tout le temps, mais savoir lorsque c’est judicieux, et surtout quand s’abstenir et pourquoi.

J’y trouve une illustration dans ce journal, dans mes questions à propos de la médecine et de la vaccination. Face aux affirmations hasardeuses, aux décisions politiques, à mes propres certitudes surtout, et à celles des autres, notamment dans ce contexte de pandémie, la zététique présenterait une arme fort appropriée.

2 février 2021

J’entends deux fois parler de stoïcisme en très peu de temps, découvrant cette notion. D’abord dans Ératosthène de Thierry Crouzet, puis dans une vidéo sur le minimalisme numérique. Ces deux visions d’une même philosophie me perdent un peu et je vois la nécessité de lectures plus approfondies pour la comprendre. Toujours est-il qu’un résumé – ou serait-ce une simplification ? – est faite dans la vidéo, que je retrouve sur d’autres sites. Le stoïcisme impliquerait de concentrer ses actions sur ce en quoi nous avons une prise, et d’accepter, ou de faire avec, ce qui nous échappe, l’ordre des choses. Je comprends le sens de cette injonction, qui permet d’être acteur de sa vie plutôt que victime du monde. Je crains pourtant qu’elle puisse être raccourcie et, mal interprétée, mène à un désinvestissement des problématiques globales. Je vois cela dans l’exemple sur les confinements liés au covid, présenté comme nous dépassant. Nul ne devrait accepter la politique et s’y résigner s’il n’est pas d’accord. Le stoïcisme est né dans le berceau de la démocratie, comment dès lors pourrait-il pousser à se détacher de sa place dans le commun ?

4 février 2021

J’avais un moment avant un repas chez ma mère, il faisait froid avec un léger crachin et comme les cafés étaient fermés, je me suis promené. J’ai suivi mes pas, sans but juste pour tuer le temps et en profiter pour rêver un peu. Ainsi porté, je suis revenu dans le parc de mon enfance, puis naturellement par le parcours que j’empruntais pour aller à l’école quand j’étais petit. Il est toujours là, un discret chemin de traverse entre un immeuble et un garage. L’arrivée se fait directement sur le préau, mais je n’y vois pas de jeux. Les classes ont été transformées en open-space pour une entreprise qui ne s’affiche pas. Je reconnais tout sauf l’absence des couleurs de bricolages étalés partout. Les artefacts écoliers figés dans le temps sont remplacés par des murs nus, les crochets des vestiaires à un mètre du sol et les alignées de pantoufles, par de hauts portemanteaux austères. Sur le béton de la cour de récréation, on devine les marques du but de foot ou du panier de basket, de revêtement sous les barres parallèles ou d’une marelle. Je me demande si cet open-space est différent des autres, s’il est encore un peu animé par l’énergie de ces générations d’enfants qui y ont joués, et combien de temps on y retrouvera des vestiges de bricolages en déplaçant un meuble, ou de gommes collées au plafond que personne n’a pris la peine d’enlever.

En repartant par un autre chemin, je découvre qu’un vieux garage sordide a été remplacé par un parc, une rue par une nouvelle cour de récréation bordée d’une école flambant neuve de laquelle sortent des enfants qui jouent.

6 février 2021

Quelle n’est pas ma surprise en réalisant que la célèbre course des voiliers, Vendée Globe, ne s’écrit pas, comme je l’ai toujours cru, Vents des globes ! Par curiosité, j’interroge Google avec ma formulation naïve (bien qu’à mon sens plus poétique), et ce cuistre me fait la correction sans même m’informer de mon erreur.

8 février 2021

Ératosthène occupe la plupart de mes réflexions ces jours. Il me met face à un trait de caractère que je partage avec ce personnage : des intérêts très divers, sans liens apparents, et aucune spécialité. J’ai parfois perçu cela comme une conséquence malheureuse de ma curiosité. Lorsque je travaillais dans un institut dix-huitiémiste, j’enviais ces spécialistes qui se vouaient à une étude précise, arrivant à des niveaux de connaissance incroyablement exhaustifs. J’en suis incapable. Je vis mes intérêts, les expérimente, puis ils perdent la place centrale qu’ils ont occupés dans ma vie. Sans forcément être mis de côté, je les digère pour les intégrer à mon quotidien, comme un livre lu et rangé dans une étagère. Je ne peux m’en défaire, car il fait partie de moi, mais ne m’accompagne plus constamment ni exclusivement. Ceci me condamne à un constant amateurisme, m’empêche de me vouer corps et âme à une passion.

Avec l’abandon du projet de créer une brasserie professionnelle, j’en suis venu à porter cette pratique de mes loisirs comme une revendication. J’aime profondément le confort qu’apporte l’amateurisme, sa pureté. Il me permet de vivre mes intérêts pleinement, avec en unique moteur mon plaisir et ma curiosité.

11 février 2021

Comment souvent, je lis la formulation parfaite ce que j’ai essayé maladroitement d’expliquer quelques jours auparavant. À propos du stoïcisme :

“Ils se contentent de répéter que, puisque tout est écrit, ils ne sont pas responsables des extrémités auxquelles ils consentent. […] À force de dire que nous sommes maîtres de notre existence, tu réveilles la culpabilité de tous mes amis. Ils ne te le pardonnent pas. Ils t’accusent même de leur médiocrité.” Crouzet, T. (2014) Ératosthène. L’âge d’homme. 9781536860771. P. 297

La réflexion sur le stoïcisme dans ce livre est loin de se résumer à cette seule phrase, bien au contraire. Elle me semble juste présenter une bonne illustration d’un travers courant.

Je vois partout l’injonction d’agir en consommateur, citoyen ou travailleur. De l’autre, la défense que l’action individuelle ne suffira pas, le mouvement doit venir d’en haut, des politiques ou des entreprises. Comme toujours, la sagesse s’oriente vers un équilibre désécurisant, bien moins confortable qu’une position tranchée et réductrice.

16 février 2021

La moindre contrariété me fait délaisser l’écriture, en l’occurrence un examen de Pilates m’occupe corps et esprit. Résultat, les jours s’enchaînent sans toucher à mon journal. Il y a aussi la frustration de devoir m’interdire de poursuivre Ératosthène. Ce livre m’aspire tout entier dès que j’y trempe un orteil. Si j’ai du temps et de l’énergie, ce sera pour lui.

17 février 2021

Il y a un bonheur inouï à passer un examen. L’avant est une torture, le stress, l’anxiété et la contrainte d’y consacrer trop d’énergie au détriment du reste. L’après, en revanche, doit libérer une substance dans le cerveau digne d’une drogue dure. C’est l’extase, la détente pure, la jouissance de tout dans un présent délicieux.

20 février 2021

Je termine Ératosthène fatigué, dans un état similaire qu’après Mon père ce tueur, mais atteint sur un plan plus général. Thierry Crouzet a une capacité hors norme à m’essorer l’esprit. L’écriture est élégante et tranchée, elle donne au récit quelque chose d’épique ou de dramatique, presque sentencieux, et n’encombre par le déroulement intellectuel du lecteur. Finalement, je me sens un peu perdu, déboussolé. J’ai cogité après chaque lecture, pensé au Web, aux blogs, à la république des lettres, au trekking, à la philosophie, au bien-être, à la nature , cette liste me semble pouvoir se poursuivre sans limites. La frontière a disparu entre ma lecture et mes réflexions, elles se confondent, je ne saurais même pas le résumer.

Par son insistance sur le généralisme, qui permet de faire des liens, je tisse les miens et m’approche un peu du vertige qu’il décrit. Faire des liens, c’est comprendre le monde pour l’aimer et le vivre. Là encore, impossible de déterminer si cette dernière phrase vient du livre ou de moi. C’est le seul ouvrage avec Le portrait de Dorian Gray que j’ai souhaité reprendre immédiatement après l’avoir refermé.

J’avais envie de relire chaque chapitre, de l’annoter, d’en parler. Au travers de nouvelles connaissances, la perception du monde change pour le personnage, il doit le reconsidérer. Alors qu’Ératosthène dessine le monde, nous créons une carte vierge avec le Web. Les enjeux d’antan n’ont plus lieu d’être, comme les limites, il y a l’occasion pour l’humain de grandir. Thierry Crouzet nous y invite.

21 février 2021

La beauté du généralisme est un point central dans Ératosthène. J’avais entrevu ses enjeux déjà avec Frank Herbert dans Dune. Pourtant, le terme généraliste ne me plait pas beaucoup, il m’évoque une notion encyclopédique, une utopie d’exhaustivité. Ératosthène, qualifié également de polymathe ou d’éclectique, se concentre sur différents domaines relativement spécifiques. Il ne se contente pas de les aborder en surface. J’y trouve une plus grande richesse. Le polymathe se crée une vision globale qui lui est propre, à confronter et partager. Autre avantage, il ne peut qu’être plus serein et conscient par rapport à ses zones d’ombres.

Je suis plus heureux que jamais d’avoir des intérêts aussi divergents, ils me rapprochent un peu d’Ératosthène. En y repensant, un lien m’apparaît dans mon besoin de me les approprier. Connaître la bière, en boire et l’aimer ne me suffit pas, je dois en brasser. Je ne peux pas uniquement suivre un cours de Pilates, je veux être autonome dans ce sport et me voilà diplômé instructeur. Je ne me suis jamais intéressé aux plantes avant de plonger mes mains dans la terre. J’ai même pratiqué Stevenson en le suivant dans ses aventures, vivant les miennes dans son sillage. Je veux que ce qui m’inspire puisse déteindre sur moi. Est-ce que j’aime le vin pour son goût ou parce qu’il m’évoque la passion du vigneron qui m’en parle dans sa cave, entouré des odeurs de chais et de fermentation, de tous les secrets et merveilles de cet univers ?

25 février 2021

Après le visionnage de L’appel du Grand Nord, disponible sur Arte jusqu’en avril, je réalise qu’une image très présente que j’ai de la nature, sans doute partagée par beaucoup, est biaisée. Elle représenterait une forme d’antithèse de l’humain, l’élémentaire, le sauvage, la pureté. Cette nature préservée est pourtant rare, quasiment inexistante dans nos contrées. Les seuls aperçus que j’ai eus se trouvaient dans le désert, au Svalbard, en haute montagne, en pleine mer ou dans la forêt tropicale reculée. Et encore, si la patte de l’homme est discrète et menacée, elle n’en existe pas moins. Pour le reste, la nature est le fruit d’une évolution main dans la main avec l’humanité, souvent façonnée l’une par l’autre. Elle n’en est pas forcément moins belle, bien au contraire. J’aime ces paysages transformés par l’homme au fil des générations, car je m’y sens intégré, j’en fais partie. La laideur vient lorsque l’on cherche à nier à la nature sa place et l’écraser.

27 février 2021

J’achète et installe Antidote car je suis incapable de me relire sans laisser une tonne de fautes. Ce logiciel est sans pitié et manque sérieusement de tact. Entres les erreurs qu’il traque facilement, il décèle également les répétitions, les verbes ternes, les phrases trop longues, non verbales, classées en une liste glaçante. S’en suit une relecture bien différente de ce que j’ai pour habitude de faire. Je me sens d’abord très bête de voir tout ce que je laisse passer, puis constate avec satisfaction le gain de maturité des textes qui en sortent.

28 février 2021

Si la matinée est brumeuse et couverte de stratus, le Jura est aussi ensoleillé que les promesse de Météo Suisse. Fanny et moi prenons le petit train au départ de Nyon pour grimper jusqu’à St-Cergues avec l’idée de rentrer à la maison à pieds en empruntant le chemin des crêtes, puis bifurquer pour rejoindre le sentier des Toblerones. L’itinéraire est riche, beau et varié, passant des pâturages du Jura à ses superbes forêt, puis aux bords de la Serine et ses fortifications couvertes de lierre. Plus d’informations sur cette randonnée. Le temps est lumineux et nous prenons notre première overdose de soleil et d’oxygène de l’année, rappelant que les beaux jours arrivent. Le déclic est fait dans ma tête, il ne sera désormais plus question de films, de travail généalogique ou de canapé, mais de jardinage, de promenades et de cueillettes.

L’envie vient également de partager mes randonnées sur ce site. J’aime tracer mes propres parcours, mais aussi me laisser guider par ceux qui ont partagés, comme le fait Randomandie. Offrir en retour mes trouvailles rentre totalement dans l’optique de ce site, il serait dommage de s’en priver.

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