Journal – mars 2021

3 mars 2021

On m’attribue une nouvelle parcelle aux jardins familiaux. Je disposais d’une demi depuis un an, me voilà pile pour le printemps avec une entière. Je suis ravi et m’attelle au nettoyage de mon ancien terrain. Le sol fait plaisir, meuble et grouillant de vie. J’ai mal à chaque coup de bêche de voir cette foule de vers de terre dérangée, j’ai l’impression de gâcher une partie de mon travail. Ce sont les règles du jardin, il faut rendre une terre retournée, et je prends garde à rester superficiel.

Dans mon nouveau terrain, cultivé jusqu’alors de manière plus classique et intensive, je ne croise que quelques vers bien plus en profondeur et un dixième des variétés de mauvaises herbes que je connais. C’est sec, compact, j’ai l’impression de travailler un désert en comparaison. Quand j’y pense depuis chez moi, je m’étonne de visualiser cette terre rouge alors qu’elle n’est qu’un peu plus claire. Je me réjouis de voir son évolution dans les années à venir. Je m’attelle à laisser de la place au joyeux bordel de verdure qui va prendre possession des lieux.

4 mars 2021

Deux nouvelles me mettent le sourire aux lèvres aujourd’hui. Je vois d’abord que Didier Pittet et d’autres insistent dans les médias pour que le vaccin contre le covid soit considéré comme un bien commun. Utiliser cette thématique bouillante permettrait de faire place à l’économie de paix dans le débat public ? J’enrage de constater l’ignorance générale dans ce domaine. Deux des armes largement déployées pour lutter contre le covid ont pu l’être à échelle mondiale parce que leurs créateurs ont décidé d’en faire profiter l’humanité plutôt que leur compte en banque : Didier Pittet et sa formule de gel hydroalcoolique, et Christian Drosten pour un test de dépistage. Si le premier a bénéficié d’une certaine reconnaissance, je ne connais Christian Drosten que parce que je lis le blog de Thierry Crouzet.

La seconde nouvelle est la création d’un moteur de recherche qui ne se base pas sur l’indexation d’un géant du Web. Depuis quelque temps, j’observe l’apparition de solutions technologiques à portée de mains qui permettent une alternative aux GAFAM. Le problème avec le monde du libre est sa complexité là où les entreprises sont géniales pour produire du clé en main et du gratuit. Adopter le libre implique souvent d’y passer du temps, voir parfois consentir à une certaine marginalisation. Quand une alternative réaliste est créée, je saute dessus. J’avais moi-même migré de Google Drive à KDrive de Infomaniak, ravi de payer pour un service respectueux de mes données et soucieux du développement durable. Un moteur de recherche serait un joli pas dans ce sens. À mettre en avant les sites commerciaux, Google me donne l’impression d’être devenu un supermarché plutôt qu’un moteur de recherche. J’ai encore l’idée du Web comme d’une bibliothèque d’Alexandrie, il présente plusieurs facettes. Un outil qui ferait la part belle à sa partie documentaire m’enchanterait.

6 mars 2021

Frénésie d’activités. Je voudrais des journées de cinquante heures et m’insurge contre la fatigue qui m’empêche de passer une Xème heure à bosser au jardin ou à randonner. Je me retrouve donc avec une pure révision du système musculaire sous forme de courbatures. Après des mois d’intérieur à bouder l’hiver, je suis boulimique d’extérieur et de soleil, l’idée d’aller au travail me paraît être une insulte au bon goût.

8 mars 2021

Ma formation de Pilates est terminée, je suis diplômé instructeur et on me demande ce que je vais en faire. Je vais en faire, je réponds. Ça étonne, ça fait réagir, de loin pas tout le monde, mais quand même. J’ai appris le Pilates et m’entretiens avec, tant mieux si je peux en faire profiter les autres, mais c’est secondaire. De là à me faire de l’argent avec, j’ai déjà un métier, donc pourquoi pas, mais pourquoi ?

9 mars 2021

François Bon dans cette vidéo s’attaque à quelques étiquettes qui lui collent à la peau. Prolifique, d’abord, ça me fait rire parce que je n’arrive pas suivre sa chaîne de plusieurs vidéos de 25 minutes chaque semaine. Éclectique ensuite, car il voit un lien très clair entre tout ce qu’il entreprend. J’essaie d’adopter sa dynamique, de sortir un lien évident entre mes loisirs. Je suis étonné de trouver : la lecture. Le Pilates est une bonne lunette pour lire mon corps, le jardinage pour parcourir les pages des saisons, la brasserie pour commencer la bière depuis le début, la rando comme parcours initiatique du protagoniste de ma vie, la généalogie pour la narration non linéaire de l’Histoire et de mon histoire. Mais du coup, tenir un journal, c’est un peu se relire ?

11 mars 2021

En pleine lecture de la magnifique BD Le port des marins perdus découverte totalement par hasard, forcément attiré par le titre. C’est une pépite, une de ces œuvres parfaite, choyée par ses auteurs et infiniment personnelle. Emprunte de poésie, littéralement et dans chaque personnage et chaque dessin colorés de gris, l’appel de la mer et de l’aventure, et les navires dont quelques traits gonflent les voiles et les rendent aussi filants qu’un bon vent. Je me retrouve plusieurs fois les larmes aux yeux dans le train, avec l’envie de dévorer tout en voulant faire durer le plus longtemps possible cette aventure.

Et puis il y a R.L. Stevenson qui habite ses pages avec une intensité rarement ressentie. Il est dans le nom du héros, dans les thématiques, dans l’épopée maritime, caché sous les traits d’un personnage dont la ressemblance ne peut être un hasard. Mis à part ces allusions évidentes, j’ai de la peine à expliquer rationnellement en quoi il marque cette œuvre, mais il accompagne la lecture avec force. Son esprit y est, cet humour pinçant, ses ambiances, sa mélancolie, j’ai presque l’impression de lire une adaptation d’un roman qu’il n’aurait jamais écrit. Les auteurs de cette BD l’ont côtoyé au moins aussi intimement que moi alors que je marchais derrière lui dans les Cévennes.

12 mars 2021

Je m’attaque avec courage à un gros travail manuel, le plus ambitieux que j’ai entrepris, moi, bibliothécaire scribouillard aux mains douces : poser une bordure de jardin avec des dalles en béton. Ma parcelle était séparée du chemin par des planches en bois enterrées, depuis le temps en décomposition avancée. Je démarre tôt pour pouvoir œuvrer dans la discrétion – en cas d’humiliation totale ou d’abandon imprévu. Ces jardins sont peuplés d’employés du bâtiment à la retraite, prompts aux moqueries surtout devant ce travail qui leur semble enfantin. Mes voisins directs ressemblent d’ailleurs à des devantures de Getaz, angles de 90° parfaits et régularité millimétrique.

Trois heures plus tard, fierté, la bordure est posée. Elle est plutôt droite malgré un ou deux petits écarts pour ne pas trop massacrer les muriers, et termine plus haut qu’elle n’a commencé, mais seulement de quelques centimètres. Belle œuvre me dis-je. Je comprends un peu mieux les manuels, ceux qui peuvent passer des journées entières à bricoler, ou qui refont un parquet à la moindre excuse, juste pour le plaisir. Il y a une méditation à se plonger dans ces tâches, à construire de rien, et une jouissance profonde à voir le travail accompli.

Avant

Après

14 mars 2021

Petit tour au jardin, je croise P. mon voisin et lui montre ma nouvelle bordure. “C’est bien, mais pourquoi tu l’as fait à œil ?“. Je réponds que j’ai utilisé un fil comme conseillé, mais pris quelques libertés. “Mais là c’est pas régulier, c’est moche, il faut refaire“, rétorque-t-il. “Non, pas question, c’est très bien ainsi“. Puis d’enchaîner étonné “Tu fais quoi comme métier ?“. Et finalement suivre ma réponse par un acquiescement entendu. Il ne critique plus ma bordure, mais ne cesse de me proposer son aide.

17 mars 2021

Mes précédentes lectures me donnent envie de remettre un pied dans la poésie et je me heurte à des difficultés bien connues. La poésie ne se lit pas comme un roman, elle doit être omniprésente. C’est lorsque je ne la lis pas qu’elle travaille le plus. Elle doit m’accompagner, se répéter, rester dans ma tête après lecture, me surprendre là où je ne l’attends plus. Pour y parvenir, j’avais tendance à apprendre par cœur les poèmes que j’avais envie de lire vraiment, c’est long et limitant. J’essaye cette fois une autre formule. Je m’imprime un petit livret in-8° avec quelques poèmes qui me viennent spontanément, de vieux amis et d’autres que je vais rencontrer. Je note sur la page de garde Avril 2021, dedans, six poèmes qui m’accompagneront ce mois.

La perspective m’enchante. Si l’habitude s’installe et que plusieurs livrets aboutissent ensuite, j’aurai un déroulé de mon quotidien à travers les poèmes. Une autre forme de journal du ressenti et de l’émotionnel plutôt que du réflexif.

18 mars 2021

Je plonge dans le marché de l’occasion et découvre un peu plus ses possibilités. J’aimerais parvenir à limiter mes achats dans les domaines qui me dérangent le plus. Celle de ne pas acheter d’électronique neuf m’était déjà apparue. Restait les vêtements, une industrie que je trouve particulièrement destructrice et incontournable, dont Ateapic semble m’offrir une belle alternative. Il y a un vrai soulagement à me dire que je peux m’habiller sans engraisser la machine.

Effet collatéral bien peu dommageable, mon mur Facebook, avec l’utilisation de Marketplace, s’est transformé en véritable boutique. En me désabonnant drastiquement des comptes avec qui je n’entretiens pas d’échange direct, j’avais laissé mon mur vide, dépossédé de sa dynamique de flux. Facebook l’a rapidement rempli avec les annonces sponsorisées, encore poussé par son service de publicités. Ce réseau m’apparaît alors pour ce qu’il est, une plateforme de marketing au milieu de laquelle se glissent quelques contenus aléatoires de gens que j’aimerais lire. Et ce piège insidieux dans lequel j’essayerai de ne pas tomber : à vouloir consommer moins ou mieux, me voilà livré à foule de suggestions auxquelles ne pas céder.

22 mars 2021

On attire à mon attention une comparaison qui me fait rêver : le nombre d’atomes dans l’univers serait de l’ordre de 1080. C’est autant que le nombre de reproductions à laquelle aboutit une bactérie en moins de quatre jours. Un big-bang pour chaque bactérie en quelques jours. Merci, G. pour cette magie chiffrée, ce vertige qui me rappelle qu’on peut être cartésien et pas moins enchanté.

26 mars 2021

Passage éclair de mon regard sur l’étagère et foudre d’une pensée alors qu’il s’attarde sur mes archives familiales : j’ai bientôt terminé. Encore un an peut-être, je ne vais pas très vite, et moins en été. Mais pour la première fois, je vois le bout, je sais ce qu’il reste et ne suis pas face à un tas intimidant à décortiquer. Il s’agissait de photo, de documents récoltés par mes grands-parents sur leurs familles, recueilles de leurs parents, puis par moi, mais seulement quelques pièces. J’organise, classe, trie et surtout numérise, puis partage.

Vient maintenant cette question que je ne peux plus repousser : comment écrire ma famille ? C’était le but au départ, il y a plusieurs années, graver ce qui peut l’être de ce que les photos et papiers ne disent pas. Donner place à chacun, recréer une trace de leur passage parce que celles qui restent s’effacent, et faire leur connaissance.

Mais découragement aussi, parce que comment dépasser ces difficultés : Donner plus d’importance que fille de ou grand-père de, rester neutre, mais pas froid, mettre en valeur sans idolâtrer, replacer en contexte sans pousser au documentaire, honnêteté sans intrusion ..?

Et l’évidence qui apparaît, cette généalogie sera la mienne, pas celle de mon père, ni de ma mère, ni de ma sœur ni de mes enfants si j’en ai. Pas un recueil de pièces historiques, mais une pièce de plus, rien de plus.

28 mars 2021

Journée de lumière et de nature naissante.

29 mars 2021

Une partie de moi est collectionneuse, envie d’accumuler, de viser l’exhaustivité, de conserver. Ce trait de caractère finit par me peser, me déséquilibre. Depuis quelque temps, je le combats volontairement, je ne le faisais auparavant que par nécessité. Je trie, fais de la place, désencombre les étagères. Aujourd’hui, je m’attaque à Stevenson, le plus dur : livres anciens dans belles reliures, multiples éditions illustrées, différentes traductions de chaque œuvre, préfaces, œuvres dérivées… si je l’étudiais sérieusement, cette collection serait riche et précieuse. Elle est ridicule parce que je n’en fais rien si ce n’est la lire, et pas besoin de trois exemplaires pour ça. Le numérique m’aide à ce très relatif minimalisme. Je pourrai scanner les préfaces que je veux garder sans conserver une Xème édition de l’Île au trésor. À part la douleur d’exploser un ensemble soigneusement créé, vient une légèreté confortable de se délester.

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