Vendredi 4
Lundi 7
En rentrant, accident de personne sur la ligne de train, la formulation utilisée pour décrire un suicide. Impossible de se rendre au-delà de Nyon. Sur le quai, les soupirs des passagers m’exaspèrent rapidement. Un malaise me prend comme les quelques fois où je me suis retrouvé dans cette situation. Face au drame d’une personne qui s’est ôtée la vie, l’atterrement va à l’heure perdue. J’y vois un échec collectif, comme lorsqu’une politicienne voulait me faire signer une initiative contre l’installation d’abris temporaires pour des familles de migrants, figurait dans la liste d’arguments que ça allait abimer la pelouse du parc. Je m’en vais, décidant de faire à pied les quelque six kilomètres qu’il reste.
Sur le chemin, j’écoute la dernière émission de La Planète Bleue, bercé par un répertoire électronique planant. Je ne l’interromps que lors d’un passage en forêt, leur préférant le chant des oiseaux et du ruisseau. Une lumière orange clôt le jour, une belle fin de journée printanière. Nouveau malaise teinté de tristesse en apercevant la police et les pompiers au bord des rails. Je prends un détour pour ne pas faire le voyeur. Plus loin, une voiture de pompes funèbres me croise très vite sur la petite route de campagne.

J’admire le Jura et le soleil qui disparaît, les nuages roses sur le ciel bleuté. Étrange fin de journée, comme si je me sentais à la fois détaché et happé par ce qui m’entoure. L’envie d’être acteur du monde balancé par une pulsion de me renfermer. C’est peut-être ça l’exercice d’équilibriste à mener, rester sur un chemin casse-gueule, mais qui permet au moins d’avancer.
Mercredi 9
Durant l’assemblée générale d’une association, j’assiste exaspéré à une démonstration de pure bêtise. Des insultes fusent devant un public médusé de presque cent membres, des règlements de compte, luttes de pouvoir, conflits sans fondement. La folie est contagieuse et gagne l’assemblée qui se mêle au combat. Quelques individus sains d’esprit et éloquents parviennent à ramener un minimum de structure, pour enfin conclure sur un vote. La séance peut se clôturer sans bain de sang.
Épatant le cœur que peuvent mettre certaines personnes à canaliser les brutes. J’aurais fui depuis longtemps. Eux opposent patiemment une sagesse constructive aux gesticulations colériques. Ils y dépensent une énergie folle, finissent épuisés et frustrés, et pourtant s’accrochent pour tenter de régler la situation. Sans eux, tout serait condamné à terminer englouti par la médiocrité.
Lundi 14
Une personne qui me connaît bien me fait remarquer qu’à la lecture de mon journal, on pourrait croire que je n’aime vraiment pas mon travail. J’aime pourtant ma mission, œuvrer à l’éducation et à la progression de la science ; j’aime mon cahier des charges en ce qu’il est varié et me permet de remplir cette mission ; j’aime ma position de facilitateur, entre l’information et les outils pour y accéder, et le chercheur qu’il soit docteur ou étudiant ; j’aime l’humanité qui s’en dégage par l’enseignement et l’encadrement ; j’aime qu’il échappe au moins en partie aux dynamiques de rendement immédiat et de bénéfices chiffrables ; j’aime l’autonomie et la liberté qu’on m’accorde, de même que collaborer avec tous ces gens dans l’ensemble intéressants et agréables à vivre. Tout cela me fait dire que j’ai un job idéal, qui me correspond et je ne cherche pas à en changer. Mais alors pourquoi est-ce que je crache à ce point sur le travail ?
Je n’ai pas spécialement de problème, je m’y attèle avec conviction et j’ai la chance d’y voir un sens. J’y consacre sans regret de l’énergie même si ce n’est pas toujours avec plaisir. Je n’oublie pourtant pas que c’est une contrainte. Il implique que je reste immobile et assis derrière un ordinateur huit heures de suite ; la bureaucratie et l’administration encadrent presque chaque action, tout comme les impératifs budgétaires et les luttes d’égo ; un objectif a beau être noble, les tâches à mener pour y parvenir peuvent être ennuyeuses au possible.
Il y a toujours quelque chose de plus satisfaisant à faire, de plus passionnant. Je préfère lire des romans plutôt que d’intégrer les métadonnées d’ouvrages scientifiques à un catalogue, faire une randonnée reste plus agréable que de donner un cours, une grasse matinée me semble plus attrayante que remplir des documents pour les ressources humaines ou un rapport annuel.
Mercredi 16
Mercredi 23
Certaines journées sont comme bénies. Sans être parfaite, ni même extravagante, je pourrais revivre celle-ci encore et encore sans morne perspective. Le printemps qui pointe et que j’accueille de l’extérieur, entre forêt, jardin et promenade ; des compagnies enrichissantes, bienveillantes et agréables ; de l’effort par plaisir, de l’effort pour un travail gratifiant ; une journée ancrée dans le présent et pourtant pleine d’horizons.
Cette pensée me vient alors que j’écoute Charles Pépin dans son podcast Philosophie pratique. Il pose la question de ce qu’est le bonheur puis insiste sur l’importance de se consacrer à créer des espaces de bonheur, et surtout à se demander ce qu’est pour soi le bonheur. En mettant en garde contre le piège de la quête infinie de biens, de reconnaissance ou de plaisirs, une notion m’interpelle : entre tous ces écueils, savoir ce qu’est pour soi le bonheur est loin d’être évident. Un tableau plutôt terrifiant qui implique mine de rien énormément de déconstruction, à commencer par la promesse de notre société que le bonheur passera par tel ou tel chemin de vie. Ces promesses remises en doute, la question apparait.
Je baissais mon taux de travail, et opérait récemment un grand tournant de ma vie, au constat que quelque chose n’allait pas, qu’il existait un décalage entre mon idée du bonheur et le résultat. Je pensais alors vouloir plus de liberté, plus de temps, plus de loisirs, plus de mouvement. La principale richesse finalement obtenue, ce sont des espaces d’expérimentation. Éprouver le bonheur… Vu comme ça, c’est un sacrément bon début, merci Monsieur Pépin.