J’entends souvent que la lecture est un outil de bien-être, propice à la détente. Pour moi, c’est l’inverse. Je dois être serein pour entrer dans un roman ou me passionner véritablement pour un essai. En état d’agitation ou de stress, je n’arrive à obtenir qu’une plongée superficielle frustrante. C’est encore plus flagrant avec la poésie à laquelle je suis hermétique dans mon quotidien, mais aspiré par elle dès que je me retrouve posé.
J’aime sentir la vie dans le jardin, le vrombissement des butineurs, la terre grouillante, les lézards qui détalent à mon passage pour revenir se poser paresseusement au soleil, les oiseaux et leurs avides observations de mon travail, les témoignages d’une activité nocturne par de petites crottes de hérissons et de furets, ou apercevoir à la tombée de la nuit la forme furtive d’un renard entre les cultures.
Bien que méfiant, je ne voyais pas d’un mauvais œil l’arrivée d’un rongeur, ses premières galeries, ses couinements fugitifs, jusqu’à ce que des salades disparaissent, puis des pieds de tomates, de concombre, de courge, d’aromatiques, à un rythme inquiétant. Identifiant sans peine des campagnols, je comprenais qu’un partage raisonnable semblait difficile avec ces voraces.
Et voilà que je tuais aujourd’hui pour la première fois, de mes mains. Pas une limace ou un insecte ravageur, mais un mammifère, espèce cousine à la mienne en bien des points.
En détruisant une longue galerie, deux boules de poils en sortaient soudainement, hagardes et sans doute endormies. Un bâton en main, après une ou deux secondes de stupéfaction, j’assenais un coup à la plus proche, sans trop y croire, et faisais mouche à ma plus grande surprise. Je la vis rebondir, la senti molle et fragile, un spasme agitant ce petit corps alors que je distinguais une trace de sang autour de ses dents. Je frappais à nouveau pour lui éviter l’agonie. Je parvins à capturer l’autre et la relâchais loin dans un petit coin de nature.
Je restais écœuré un moment, nauséeux, effrayé par mon geste, mais curieusement un peu rassuré. Je suis persuadé que si chaque personne consommant de la viande devait, au moins une fois, tuer un animal, l’apprêter et le manger, un plus grand respect en découlerait : moins de gaspillage et de politiques de l’autruche quant aux conditions indignes d’élevage et d’abattage (et probablement plus de végétariens). Bien que ne comptant pas croquer ce pauvre rongeur, cette expérience me ramène à cette idée qu’en existant, je tue, même si ce travail douloureux est généralement sous-traité. Je préfère ne pas me contenter de l’ignorer et pour cela, la meilleure façon est peut-être encore de le vivre directement.
Parmi les sujets qui m’ont particulièrement troublé et fait souffrir, il y a le fait que ma vie, bien que j’y aie pris le plus vif plaisir, n’a été utile à personne d’autre. Une léthargique flatterie des sens […]
— Robert Louis Stevenson, correspondances
Même trouble au même âge, à 18 ans, et toujours pas de réponse. En a-t-il finalement eu une ?
La préparation d’un prochain trekking me réjouit comme un gamin. L’idée de retrouver les sentiers, l’itinérance, le rythme lent et contemplatif de ces journées plongées dans un territoire gomme l’appréhension de l’effort et de l’absence.
En partant pour la première fois en trekking il y a bientôt 20 ans, je découvrais un mode de voyage qui me correspondait en tous points, trouvaille finalement rare et précieuse. M’en passer ne serait-ce qu’une année crée un manque.