Pontorson – Mont-Saint-Michel
Entre Pontorson et le Mont-Saint-Michel
Il faisait un temps radieux et je démarrai la randonnée directement après un tour à l’épicerie. Début de la marche à 9 heures pour pouvoir faire ce tronçon tranquillement. Je quittai le village pour m’engager le long du canal du Couesnon dont l’embouchure est au pied du Mont. Au moins, ce n’était pas trop compliqué de s’orienter. J’avoue que je trépignais d’impatience à l’idée de voir l’océan et de découvrir ce lieu. J’avançais donc d’un bon pas.
C’était un petit sentier plaisant. Une voie verte pour randonneurs, cyclistes et cavaliers. Je n’y croisais pourtant qu’un lapin qui s’échappa en me voyant et quelques oiseaux. Le lit de la rivière était bordé de gros buissons de houblons, mûrs à point que je reniflais chaque fois que j’en avais l’occasion. Chaque buisson aurait suffi pour une cinquantaine de litres de bière tant il était abondant. Décidément, quel beau pays !
J’avais de la peine à imaginer être si près du bord de mer tant l’ambiance était campagnarde. Un moulin au loin, pas de vent et aucun bruit sinon le chant des oiseaux. Soudain, au tournant du canal, après une petite heure de marche, je l’aperçu, au loin, la Merveille. Tout était plat aux alentours, des champs, quelques arbres et maisons, et cette immense construction qui se dressait, dominant tout le reste. J’appris plus tard qu’à l’origine, l’endroit se nommait le Mont Tombe, qui signifie hauteur, je ne peux lui trouver meilleure dénomination. A partir de là, c’était comme si je ne la quittais plus des yeux car je me dirigeais droit vers elle. Quel frisson devaient ressentir les pèlerins lorsque, comme moi en cet instant, ils voyaient se dresser le monument.
Ce n’était que plus loin que je sentis par intermittence l’odeur de l’océan, apportée par une faible brise et accompagnée du croassement des goélands. Je m’arrêtai un instant à Beauvoir – qui n’a rien de spécialement beau à voir excepté le Mont – mais où je trouvai un café. Là, entourant quelques vieilles maisons typiques et élégantes, des parkings, des boutiques aux allures de supermarchés de luxe, des cars et des hôtels. L’ambiance n’était pourtant pas électrique. Si l’endroit doit être invivable en période de vacances scolaire, il y régnait là quelque chose de paisible. Peut-être est-ce que l’écrasante majorité des visiteurs étaient des retraités, ou simplement que l’infrastructure prévue pour de grosses affluence offrait un confort idéal à un tourisme abondant mais raisonnable. Toujours est-il que le dernier tronçon, bien que moins solitaire, n’en fut pas désagréable. La baie se dévoilait désormais, longue bande d’eau lorsque j’arrivais au barrage, puis le sable lorsque la marée se retirait. Et entre mer et terre, de grands champs, les Prés-Salés ou paissent les saucisses agneaux que j’avais dégusté la veille.
Arrivé au barrage, une atmosphère solennelle flottait dans l’air. Tous ceux qui convergeaient vers le Mont restaient silencieux. Il n’est pas possible de ne pas être un peu hypnotisé par ce spectacle de gigantisme dont on ne prend toute la mesure que dans une approche lente et contemplative. La passerelle en bois qui nous y amenait faisait résonner les sabots des chevaux qui assurent une navette entre le parking et l’île. Ils rythmaient nos pas alors que nous convergions, regards et appareils photos rivés droit devant nous.
La Merveille
Dans quel état de béatitude je me trouvais en entrant. Le gros pont levis, les vieilles pierres, les rues pavées. Depuis l’entrée, tout semblait à l’abri du temps, préservé depuis toujours. Heureusement, la grosse affluence n’était pas encore de la partie et je profitais d’un tour des remparts dans un relatif calme. La baie s’étendant à mes pieds dès que je prenais un peu de hauteur, surplombée par l’abbaye, elle-même dominée à son sommet par ce Saint-Michel tout d’or et de grâce. Je ne m’attardais pas dans les rues. La foule y était compact et les boutiques absurdes et repoussantes.
L’heure étant au repas pour tout le monde, j’allais donc visiter l’abbaye et bien m’en pris, car la file était courte et les salles peu encombrées. Les salles toutes plus belles et majestueuses les unes que les autres se succédaient, colonnades, panoramas sur la baie. Je ne saurais que dire de plus. Il faut le visiter, le voir, s’imprégner des lieux. Je délassais souvent mon audio guide pour rester un instant à contempler les détails des moulures aux motifs végétaux, admirer la baie, imaginer la vie des moines en un autre temps mais dans les mêmes pierres. J’y restais jusque dans le milieu de l’après-midi.
J’allais ensuite manger un pique-nique des plus local. Je trouvais au bord de l’eau un petit coin d’ombre et, adossé aux pierres fraîches des remparts, sortait mon festin acheté le matin. Il se composait de pain, mais surtout d’une terrine normande aux tripes. La vendeuse m’avait mis en garde : il faut aimer les abats. Elle commença par embaumer l’atmosphère, coupant court au parfum entêtant de l’océan. Je n’aurais sans doute pas osé y manger sans savoir ce que c’était. Au goût, c’était terriblement piquant, et autant dire qu’aucune épice n’y contribuait. Je me régalais malgré tout, étonné d’avoir affaire à un plat aussi authentique dans une région ainsi grignotée par le tourisme. Qu’on ne mette pas cette terrine entre toutes les mains, il y aurait des morts !
En fin d’après-midi, j’allais prendre un apéro sur une terrasse sur les remparts. Déjà, le Mont se vidait. Je mangeai dans un bon restaurant, Du Guesclin, un menu on ne peut plus traditionnel. J’appréciais véritablement pour la première fois une assiette d’huîtres. Je goûtai une omelette façon Mère Poulard – mais mieux faite et moins chère, m’avait certifié mon hôte de la veille – qui plus que baveuse, me semblait mousseuse. Je terminai par un far breton pour un peu d’exotisme, arrosé de salidou.
J’allai ensuite contempler le coucher du soleil depuis une terrasse au pied de l’abbaye. J’y restais plus d’une heure à admirer les couleurs teinter le ciel et disparaître. Pendant que le soleil se couchait, la marée montait. La large plaine sableuse à mes pieds se faisait tranquillement éclipser par les vagues montantes. Avant que ne sonnent les neufs coups depuis le clocher, le jour n’était qu’une lueur à l’horizon et je me retrouvais sur une île. Le bruit des vagues autour des remparts raisonnait enfin. Je n’avais pas bougé, l’océan était venu à moi.
J’allai me promener. Les rues désormais désertes offraient une ambiance en décalage total avec ce que j’avais vu cet après-midi. Le silence régnait, un peu de vent s’était levé et le fond sonore était monopolisé par les étourneaux et les vagues. Je flânai un long moment, sans pouvoir me lasser de ces ambiances. Jamais silence n’aura été aussi beau. La nuit et l’eau enveloppaient l’île. En voulant faire le tour des remparts, je me retrouvai nez à nez avec la mer, en pleine rue, si bien que je devai rebrousser chemin pour emprunter un autre itinéraire. L’abbaye illuminée, j’avais l’impression de flotter au milieu du néant, comme sur La croisière des oubliés. Un magnifique ciel étoilé s’était dévoilé et contrastait avec la noirceur des eaux. Un peu plus tard, une lune orangée se levait, traçant un sillon éblouissant dans l’onde.
J’avais peur de m’ennuyer en passant autant de temps sur ce rocher. Je ne peux imaginer meilleur passe-temps que de s’ennuyer ici. Une paix complète enveloppait les lieux, aidée par un temps doux et une solitude ressourçante. Je ne sortis pas mon livre ni mon cahier tant tout autour de moi demandait à être admiré. Si la beauté peut inspirer, elle m’arracha ici toute envie d’écrire. J’aurais pourtant aimé lui rendre hommage par les plus beaux vers qui soient.