Mai-juin 2023

Crêtes du Jura


Faire me rend heureux : mettre les mains à la pâte pour retrouver des connaissances basiques ou des gestes que l’automatisation s’est appropriés. Pétrire du pain, cultiver mon jardin, cueillir et sécher des herbes, brasser de la bière, fermenter des légumes, du vinaigre ou des yaourts, même du compost. La marche, en plus de la communion avec des territoires, participe à cette quête d’élémentaire. Je m’extasie de la complexité ignorée de ces mouvements et de ce qu’ils apportent d’inexplicable à mon bonheur. Ils m’enrichissent sans que je sache pourquoi.

C’est par besoin de contrôle, me propose-t-on, gouverner toute la chaîne serait rassurant. Ça serait vrai si j’avais confiance en mes capacités. Le résultat reste dans la plupart des cas incertain, je le découvre alors qu’il naît. Les échecs sont plus courants que les réussites et j’observe une tendance à abandonner une pratique quand j’ai l’impression de la maitriser.


Week-end de randonnée au Lac Taney, les Jumelles depuis le Grammont


Je reste ahuri par la glorification du stress par ceux qui le subissent. L’exposition de conditions de travail indécentes, de charge irréaliste ou de comportements odieux s’accompagne d’une certaine fierté. Le dédain accueillera en revanche l’évocation d’une vie paisible et frugale. Au mieux, un tu as bien de la chance clôturera la réflexion de celui qui retournera trimer frénétiquement.

Ma chance, celle d’avoir pu faire librement les choix qui ont mené à cette vie, est inouïe. J’ai pourtant de la peine à l’entendre venant de celui qui se sent victime de son leasing sur une voiture plus chère que mon salaire annuel.


Vufflens-le-Château

La Venoge


Retour d’une longue journée, répétée cinq fois, chaque itération l’étire, l’enrichit, dilate mes perceptions. En une semaine de retraite pour me former en Pilates et fascia en mouvement, j’expérimente un nouvel état. Ce n’est que de retour dans mon jardin que je percute le temps qui a passé. Je sens le voyage dans mon corps, des heures de cette journée infinie à lui consacrer de l’attention. J’ai perçu ma digestion avec la faim sereine et le rassasiement raisonnable ; mes os bougent, fluides entre des tissus confiants ; le sommeil me prenait au coucher du soleil pour me relâcher bien avant qu’un réveil ne le fasse ; l’esprit affuté, libéré de toute frénésie et nourrit de sagesse et de perceptions, l’émotionnel parfois un peu débordant occupant enfin sa juste place. Rendre ce corps aux contraintes du quotidien est douloureux, il se défend par un mal de tête et des yeux piquants.

Manque aussi cruellement la communion du groupe, ces douze somatonautes qui m’accompagnent. Dans un tel cadre, un état d’ouverture s’est présenté ou, me retrouvant, je peux accueillir l’autre pleinement. Je renoue en esprit avec une première expérience, il y a bien longtemps lors d’un camp de marche, où l’ado timide s’était découvert une valeur, un charme, peut-être pour la première fois fier et heureux de ce qu’il était. C’est dans mon rapport à l’autre que je me découvre ici, l’embrassant entier, sans méfiance ou préjugé. Des liens forts se créent. Quitter ce groupe représente une rupture dont il faut faire le deuil, malgré le plaisir de retrouver ceux dont l’amour est fait être vécu plus qu’une période donnée dans un cadre prévu.


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *