Svalbard, jour 2

Rencontre des habitants du Svalbard

Nous changerons deux fois de camps, aujourd’hui est la première. Dès le petit déjeuné avalé, nous plions les tentes, rempaquetons nos affaires et chargeons les kayaks. Chaque espace doit être rentabilisé, tous les coins de nos embarcations, chaque affaire placée stratégiquement au mieux de sa forme et de son usage : ce qui ne craint pas l’eau va dans les habitacles, les tentes que nous avons pris soins de plier de manière à ce qu’elles forment un cône se glissent aux pointes et les sacoches étanches sont réparties, équilibrée et harnachées sur le dessus. Au final, on met au moins autant de chose dans un kayak que dans un coffre de voiture. A onze heures trente, tout est prêt et nous embarquons.

Nous longeons la côte en direction de l’Isfjord et du dégagement. Nous contournerons la pointe et traverserons un petit fjord en direction de Alkhornet pour bivouaquer non loin. Ces quelques heures de kayak sont sublimes, la côte belle et variée, remplie d’oiseaux de mer qui nous escortent sur le trajet. J., mon coéquipier de la journée, se moque de mes compétences de navigation car nous zigzaguons pas mal, mais quelques passages sans accrocs entre des récifs me laissent penser que je ne m’en sors pas si mal.

Peu avant d’arriver, nous tombons sur un morse qui se dore au soleil sur la plage. Nous débarquons pour l’observer sans le déranger. C’est une créature immense. Il dort couché sur le flanc, agitant parfois ses pattes/nageoires, totalement désintéressé de nous, un filet de bave au lèvre dans un sommeil bienheureux.

Nous arrivons au second camp bien fatigués et le montage est difficile. Cette vie en itinérance n’offre que peu de moments de repos. Sans que ce rythme me dérange, j’y trouve une grande détente et une application salutaire.

En allant chercher de l’eau au ruisseau non loin du camp, des oiseaux nous attaquent. Dos au soleil, descente piquée sur nous pour nous éloigner du nid. Plus tard dans la soirée, des baleines passent dans le fjord devant notre camp, elles chassent et nous pouvons les observer à loisir. Leurs nageoires sortent dans un roulement gracieux, parfois surplombant une grande bosse et accompagnée à intervalles régulier d’un jet d’eau sonore lorsqu’elles plongent. Un nuage d’oiseau les surplombe, suivant le même banc de poissons qu’elles.

Baleine

Tour de garde – 2h30 à 4h30

F. termine sa garde et me réveille. C’est difficile de s’extraire, le sommeil était profond et réparateur, le sac douillet et il fait froid. Je sors en grelotant et prend le pistolet d’alerte.

Je commence par remplir quelques casseroles d’eau claire à la rivière pour me réchauffer, elles serviront au thé et au café du déjeuner et remplirons nos thermos d’eau chaude pour le repas de midi. Sur le chemin du retour, des oiseaux m’attaquent en criant rageusement, leur nid n’est pas loin. Je me sers finalement un thé au thermos encore chaud. Le soleil rase les crêtes sur l’autre rive du fjord, une brume flotte sur le dégagement de mer sans le couvrir, il n’y a que le bruit des vagues et des oiseaux. Je m’extasie de la beauté de l’endroit, de ce calme et de cette paix. Il est difficile de réaliser : sous un soleil de deux heures du matin, je monte la garde en cas d’arrivée d’un ours, assis sur une chaise bricolée en ossements de baleine, dans l’endroit sans doute le plus au nord où je n’irai jamais. Je suis emmitouflé dans polaire, doudoune, écharpe et coiffé d’un bonnet de laine, j’écris avec des gants, en plein mois de juillet et je viens de mettre de la crème solaire. Des rorquals passent pendant que j’écris ces lignes, je les entends sans les voir à cause du reflet du soleil dans l’eau, quelques oies sauvages se reposent sur la plage. Je ressens quelque chose d’indéfinissable, d’admiration, d’humilité et de reconnaissance.

Les oiseaux près du ruisseau s’énervent. Je ne vois pas l’intrus, caché derrière un relief, mais ça n’a rien de rassurant. Ils se calment finalement, sans doute un renard. Et l’heure avance, je vais passer la garde, rejoindre mon sac et finir ma nuit.