Svalbard, jour 8

Longyearbyen

Nous finalisons le nettoyage de notre matériel après une longue nuit réparatrice. Au petit déjeuner, nous goûtons le fromage au caramel vanté par Jon, c’est immonde. Le renard – pauvre bête – nous en avait privé, j’espère que sa digestion a tenu le coup.

Nous montons sur un promontoire au-dessus de l’ancien centre de triage des mines, pente raide grimpée rapidement avec le guide. La balade est salutaire et permet de goûter encore aux crêtes désolées de ce désert polaire, au bleu profond de l’eau et à cet air pur et glacé qui nous fait encore grelotter.

Jon nous laisse pour l’après-midi et notre visite de la ville : exploration du centre commercial, des boutiques de souvenirs qui vendent toutes les mêmes choses, absurdes, les magasins de peau magnifique et un peu terrifiants, les rues (il y en a trois…) finalement sans grand intérêt. Toute la beauté de cette journée vient de l’ambiance étrange d’une ville utilitaire et minuscule faite pour résister aux éléments extrêmes de ces contrées. Les efforts esthétiques sont concentrés sur le confort intérieur et chaque banalité de l’endroit nous étonne : les interdictions de fusil à l’entrée des bâtiments, la panneaux “attention aux ours” en bordure de la ville, les parkings encombrés de motoneiges…
Nous mangeons avec les autres, je prends une soupe de poisson composée de bien trop de crème, et une bière de Longyearbyen, Rav Lager, très bonne, et cette fois la plus au nord.

Nous faisons tamponner nos passeports à l’office de tourisme et achetons un guide sur l’Isfjord, visitons le musée du Svalbard et écrivons des cartes postales au “Sval Bar” en poursuivant la dégustation des bières du Spitzberg : dark season, IPA, Pale Ale, Pilsner et blonde.

Nous apprenons qu’un camp voisin du notre, de l’autre côté de l’Isfjord, a été dévasté par un ours un jour plus tôt. L’ours aurait fait trois passages, s’obstinant malgré les multiples tirs de pistolet-fusée. Enervé après avoir mordu dans un pot de confiture, il aurait commencé à être très menaçant. Le groupe a finalement été évacué par hélicoptère.

Nous retrouvons toute l’équipe au restaurant Kroa pour notre dernier repas sur l’île : de la baleine fumée, un burger et de la morue absolument délicieuse.

Retour à l’hôtel à pied pour récupérer nos bagages, une balade d’une vingtaine de minutes qui nous permet de profiter encore un peu de la présence de Jon, des paysages désormais bien connus, de l’air frais et du soleil de 23 heures. Nous retournons enfin en ville, disons au revoir à Jon et au Svalbard et embarquons pour un vol vers Oslo.

Le décollage est rude, la piste secoue, nous admirons les falaises de roche pour nous engouffrer en quelques secondes dans un épais nuage. Une fois au-dessus, le Svalbard a disparu.

Svalbard, jour 7

Barentsburg

Pendant notre dernier déjeuner dans le tipi, un groupe de beluga passe près du camp. Il y en a plus d’une dizaine que nous entendons avant de voir. Nous prenons un peu de hauteur sur la moraine alors qu’ils passent près de la pointe de notre bras de fjord. Leurs dos blancs apparaissent, parfois une respiration dans un jet de brume sort de l’eau. A la jumelle, nous apercevons distinctement leur tête bosselée émerger pour replonger rapidement.

Nous plions le camp, rangeant nos affaires dans nos sacs étanches. Ils se retrouvent empilés en un grand tas sur la plage pour être cette fois embarqués non pas sur la coque éclaboussée de nos kayaks, mais dans le zodiac qui nous ramènera à bord. Nous savourons encore quelques pas autour de notre camp, sous un beau soleil avec la vision du bateau à l’horizon qui vient nous chercher.

A bord, on nous accueille avec un barbecue tristement célèbre. Il aurait en effet déclenché quelques années plus tôt un feu à bord alors que le cuistot essayait de la démarrer avec un bidon d’essence. Surpris par la flamme, il aurait lâché le combustible, le laissant s’enflammer ainsi que tous les bagages de l’équipe à bord. Nous remarquions en effet que l’équipement anti-incendie semblait très neuf. Nous mangions un steak de baleine, viande tendre au goût prononcé de foie de veau, un saumon délicieux et une côtelette de porc. Plus de viande que durant toute la semaine précédente, avec un arrière goût coupable en goûtant la baleine que je préférais largement voir nager que griller.

Bien que quasiment seuls voyageurs, nous sommes à bord d’un bateau de ligne. Il ne nous ramène pas directement à Longyearbyen mais nous permet de visiter Barentsburg, ville minière soviétique. Environ 300 personnes y vivent, quelques mineurs et beaucoup de scientifiques. Quelques rares bâtiments anciens ont échappé à la destruction totale par les Allemands durant la seconde guerre mondiale, alors que les soviétiques construisaient la ville, et contrastent avec des bâtiments modernes et utilitaires. L’importance de l’infrastructure jure avec le nombre d’habitants : une immense salle de sport, de grands bâtiments administratif, poste, école, mairie. Un buste de Lénine, copieusement couvert de guano, indique le centre-ville, comme dans toute ville russe, nous explique la guide. Elle nous offre l’histoire du Svalbard point de vue Russe, découvert par les Pomors au 17e siècle. Nous avions la version officielle, la version Norvégienne qui met en avant une présence viking à priori non attestée, et finalement la version Russe.

Nous buvons une bière de Red Bear, première brasserie la plus au Nord (il y en a une autre à Longyearbyen désormais qui lui a volé le titre de “plus au nord”), une Stout et une IPA qui passent divinement bien. Selon la coutume norvégienne, nous devons enlever nos chaussures en entrant, une pratique que je trouve délicieuse bien que présentement gênante après 10 jours sans se laver.

Nous embarquons à nouveau pour longer des falaises jusqu’à Longyearbyen, observant quelques guillemots et même un couple de macareux sur le trajet.

Arrivés à l’hôtel en fin de journée, nous nettoyons les combinaisons de kayak et savourons une douche salutaire. Une pellicule grasse nous couvre de la tête aux pieds, je ne l’avais pas remarqué jusqu’à présent. Nous prenons un repas entre nous bien sympathique. Et pour balancer le confort retrouvé avec plaisir : les bâtiments surchauffés, la profusion… un sentiment d’absurdité lié à la civilisation que je n’arrive pas si bien à expliquer mais qui revient après chaque expérience de ce type.

Svalbard, jour 6

Dernière navigation

Dernière expédition en kayak. Nous partons pour le glacier au fond de notre fjord. Il y un beau soleil, peu de nuages ni de vent et une mer d’huile. Après ma fraîche garde, je m’habille bien dans la combinaison, grosse erreur, j’en sortirait tout humide.

Nous traversons le Fjord en diagonale jusqu’au pied du glacier, sur la rive opposée à notre camp. Nous marchons sur ces étendues de moraine, des pierres poussées par le glacier au fil des années, formant de véritables collines de rocailles chaotiques. Les murailles de glace terminent la vallée pour en faire une étendue de blanc qui se jette dans la mer d’un bord, et rejoint de l’autre d’autres glaciers plus grands qui recouvrent 60% de l’île. Nous montons, prenons de la hauteur sur ce gris, ce bleu et ce blanc.

Retour à bord des kayaks pour traverser le lac devant le glacier, bordant de loin les murailles, attentifs à ne pas trop s’approcher des blocs de glace tombants dans l’eau. Nous pagayons au milieu des petits icebergs, les poussant avec nos rames et nos coques dans un raclement, entre les coups de tonnerre du glacier en mouvement. La consistance de l’eau varie entre granita ou chaos de gros glaçons. Nous réunissons parfois les embarcations pour admirer les paysages sans pagayer.

Dans ce lac gelé, nous apercevons au loin un phoque. Nous nous approchons, en voilà un autre. Il se dorent au soleil sur la glace pour sécher et se réchauffer. Ils sont aux aguets, mais nous pouvons nous approcher à quelques mètres. L’observation est silencieuse, attentive et respectueuse.

Sieste du phoque

Le retour se fait dans les mêmes conditions idéales que précédemment. Plusieurs du groupe jouent, c’est le dernier temps ainsi en mer, nous en profitons.

Pendant le nettoyage des kayaks, la fin se sent : ça parle de douche, des gaufres proposés à bord. J’observe les bécasseaux, fascinants et mignons, les lumières rasantes sur la marée basse, le chant des sternes et le froid bien clément qui relève l’air pur. Comme à la fin de chaque voyage, je me trouve nostalgique, proche de moi et de la nature avec une réelle crainte pour la civilisation, le retour au quotidien.

Svalbard, jour 5

Changement de camp

On plie le camp pour retourner à celui du premier jour. Le pliage des tentes, le remplissage des kayaks, la répartition de nos affaires est une affaire qui roule.

Le temps est sublime, je me baigne. L’eau est très froide, 8° environ selon le guide, mais ça fait du bien. Une baignade dans une mer arctique, je ne peux y voir autre chose qu’un genre de baptême, comme l’est chaque voyage.

Baignade en mer polaire

Il n’y a aucun vent, la marée est porteuse, le soleil radieux, le trajet en kayak se passe à merveille. J’embarque avec F., elle peine un peu à le diriger mais nous ramons bien.

En cours de route, nous nous arrêtons pour manger sur la plage et allons faire trois pas pour voir le squelette d’un ours. La tête est impressionnante. Je reste à espérer en voir un malgré la peur que suscite cet animal, et le danger qu’il représente.

Pour se débarrasser du sel sur sa combinaison de kayak, Jon se rince dans l’eau, flottant, tout gonflé. Amusés, nous suivons tous son exemple. L’étanchéité est parfaite, l’air contenu remonte et nous transforme en grosses bouées.

Après le repas, une grosse marée basse nous oblige à mettre les bottes et nous avancer de plusieurs dizaines de mètres dans l’eau pour faire la vaisselle au milieu d’un tapis d’algues. C’est F. qui s’y colle car elle prend le 1er tour de garde, aidée par deux bonnes âmes.

Vaisselle compliquée

Tour de garde – 00h45-2h45

Je prends le deuxième quart. F. me réveille et je me lève sans peine. Le soleil s’est caché, ou plutôt le camp est à l’ombre des moraines qui le bordent et un petit vent mordant s’est levé. Au moins, pas besoin de crème solaire cette nuit. Je monte sur les reliefs autour du camp pour trouver le soleil et me réchauffer, attentif, car la visibilité est limitée dans ce terrain. La marée remonte et un balai de sternes pêche encore sur la plage. Elles sont très amusantes à observer : vol stationnaire d’une précision parfaite, piqué dans l’eau où elles attrapent leur proie, puis remontée presque aussi vive pour s’éloigner de quelques coups d’aile. J’entends au loin les coups de tonnerre du glacier qui craque. Un gros nuage cotonneux glisse sur la montagne qui sépare les deux fjords où nous avons campés, doucement et majestueux, le recouvrant petit à petit. Les gardes qui me suivent risque d’être fraîches s’il s’installe.

Campement

J’espère apercevoir le renard polaire qui lui espère profiter de nos provisions, mais il reste invisible.

Je m’étonne un peu de la facilité avec laquelle je vis la rudesse de ce voyage. Quand F. me demandait comment je me sentais, je lui ai répondu que j’étais dans mon élément et c’est là réellement mon ressenti. J’échangerais avec un grand plaisir, même un soulagement, la douche chaude tant rêvée contre quelques jours de plus ici. La vie à la dure est juste, plus vraie, plus lente, plus sauvage, elle pousse dans d’autres extrêmes mais n’est pas forcément plus exigeante. L’introspection est favorisée, elle coupe tout réflexe du quotidien et permet une immersion dans le paysage de tout moment. Aucun toit ne permet ça. F. s’en sort très bien. Elle reste atteinte par les difficultés et l’inconfort mais affronte et va au bout. Je me demande comment serait ce voyage sans elle et une chose me vient immédiatement en tête : en tout cas pas mieux, sans doute moins beau.

Un bécasseau creuse à côté de moi dans les algues sèches, je vais me servir une tisane pour me réchauffer et remplir la gamelle au ruisseau.

Svalbard, jour 4

Alkhornet

Pas de kayak aujourd’hui, au bonheur de presque tout le monde. F. et moi n’avons pas eu de garde cette nuit, qui de ce fait fut délicieusement reposante.

Sous les nuages, nous partons à pied pour la corne d’Alkhornet en longeant la côte. Le paysage désertique s’étend sublime autour de nous, entre mer et coulées de pierres formant les falaises.

Après avoir dépassé la cabane des Sysselman, qui échangent jovialement avec nous quelques mots, nous arrivons dans la végétation : herbes verte, fleurs, petits arbres rampants de 2 cm maximum. C’est le guano des multitudes d’oiseaux nichant dans la corne qui amènent de la matière organique à terre et permettent à cette végétation de pousser. Le cri de ces oiseaux est comme un concert permanent de piaillement et de croassements. La corne nous surplombe et nous offre le loisir de les observer à la jumelle.

Alkhornet

J’aurais pensé que cette agitation de vie contrasterait avec le calme du reste de l’île, il n’en est rien. Une fois plongé dans ces paysages, on se rend vite compte que partout la vie bruisse. Elle est juste plus discrète, masquée par le vent ou éclipsée par le soleil permanent. Cette soudaine abondance ne jure pas avec le reste, c’est simplement un carrefour où se rencontrent plusieurs espèces.

Nous croisons des rennes. Ils ne sont pas farouches et s’approchent à quelques mètres alors que nous mangeons. Ces magnifiques animaux sont bien plus petits que ce qu’on croirait. C’est une espère spécifique à l’île. Leur pelage semble très doux et leurs gros yeux noirs adorables nous regardent. On entend leurs tendons claquer à chaque pas alors qu’ils nous contournent méfiants.

Les rennes du Svalbard

Cette balade magique est reposante, nous observons tranquillement le panorama et les animaux, nous imprégnant de ce qui nous entoure. C’est marcher que j’aime, qui me met le plus dans un état de découverte, d’ouverture et d’introspection.

De retour au camp, un joli soleil nous offre quelques rayons avant de se faire plus discret et passant sous les montagnes face au Fjord. Un courageux se baigne, un autre essaye mais s’arrête à la moitié, je passe mon tour.

Le morse repasse à la nage devant notre camp. Il nous a vu et fait le beau, sort la tête, met ses défenses à l’horizontale en faisant preuve d’une souplesse que je n’aurai pas imaginé, souffle et fait de gros bruits de pets. Si c’est un très beau spectacle, son comportement nous laisse un peu perplexe. Le guide, tout aussi déconcerté, nous dit amusé “ne me demandez pas d’explication, je n’en sais pas plus que vous”. Des oies au loin regagnent précipitamment la côte, un guillemot s’énerve, un renard en est la cause, je l’aperçois brièvement disparaître derrière un relief. Difficile d’aller se coucher, le spectacle est constant.

Morse en pleine parade

Svalbard, jour 3

Jour 3 – contre vent et marée

Virée en kayak au glacier, il y a beaucoup de vent, il fait plus froid et des nuages menacent au loin.

Je navigue avec A. aux commandes qui maîtrise très bien la conduite. Nous commençons par traverser le fjord, c’est long, difficile, décourageant. Le kayak a cet effet pervers de ne pas laisser mesurer immédiatement la progression. En vélo, chaque coup de pédale fait avancer de quelques mètres, la mer n’offre pas ce confort, brouillant les repères, on a l’impression de ne pas bouger. Après avoir traversé et longé un bout la côte, le guide annonce enfin une pause. On se scie les mains à sortir les embarcations de l’eau, conservant nos combinaisons humides et nous nous retrouvons très vite frigorifiés. Elles sont étanches, pas chaudes. F. est à bout. Avec M., elles nous racontent qu’en plein pagayage contre une bourrasque de vent, elles ont réalisés qu’elles faisaient du sur-place malgré tous leurs efforts.

Le guide nous emmène de quelques pas sur les terres pour nous montrer un cimetière de morses. Leurs gros ossements jonchent la côte, sans leurs défenses évidement. Ils sont là depuis bon nombre d’années, peut-être des vestiges de chasse où ils étaient tués pour leur graisse.

Nous devons repartir et Jon nous fait changer les équipages pour mieux répartir les forces. Nous retraversons le Fjord. J’ai l’impression que c’est plus dur, je suis peut-être juste plus fatigué. L’eau est agitée et des vagues nous éclaboussent sans cesse, rendant la progression plus difficile et le pagayage irrégulier. Nous prenons comme cap un sommet au fond du glacier mais ce n’est pas notre destination. Il nous faut compenser une marée descendante et le vent, l’impression de faire du sur place est terrible.

La pause repas arrive enfin. Comme d’habitude, nous sortons nos plats instantanés et les thermos. Dans un contexte normal, ça serait sans doute le repas le moins engageant possible, mais c’est ici un pur réconfort. Nous avons décroché à moitié nos combinaisons et avec remis nos doudounes, mangeant à l’abri du vent. On se réchauffe et reprenons des forces.

Je m’étonne de voir à quel point cette pause m’a redonné de l’énergie. Comble de soulagement, la mer est plus calme dans cette partie du Fjord et il y a moins de vent.

L’arrivée au glacier est sublime. On lutte un peu contre le courant lorsque le fjord se rétrécit pour déboucher dans un lac où flottent de gros blocs de glace surplombés par les hautes murailles bleue des glaciers qui se jettent dans l’eau. Nous accostons pour profiter du spectacle. Le sol est de pierres grises chaotiques et contraste avec le blanc bleuté qui s’étend. Quelques sternes nous survolent, nous jouons à escalader ces mini-icebergs, nous nous prenons en photo comme des explorateurs. Jon et H. sautent d’un bloc à l’autre sur la glace, au grand désespoir de sa mère. L’excitation est totale, le sentiment d’être au bout du monde à son comble. Le grand Nord.

Il ne fait pas chaud pour autant et nous retrouvons rapidement nos kayaks pour nous réchauffer. Le retour est rapide et bien plus facile. Nous nous laissons porter par le courant avec la délectation d’enfin avancer sans efforts. Le vent nous pousse et reste calme, j’ai un vif plaisir à pagayer. Des macareux et guillemots passent près de nous, s’envolent maladroitement à notre approche, ou disparaissent dans l’eau pour réapparaitre un peu plus loin. Jon et A. se font même attaquer par une nuée de sternes alors qu’il approche trop près d’un îlot où elles nichent. Notre guide s’en éloigne presque penaud et amusé avec une centaine d’oiseaux criards qui le survolent.

Nous sommes tous épuisés mais l’ambiance au repas du soir est hilare. Nous sortons le chocolat amené pour notre fête nationale, il a du succès, ainsi qu’un petit verre de mon whisky.

Déroulement d’une expédition en kayak

S’il y a des bagages à transporter, il faut commencer par charger le kayak. Il est impressionnant de voir à quel point on peut rentabiliser l’espace de ces petites embarcations. Caissons étanches à l’avant et à l’arrière qui remplissent une bonne partie de la coque vide ; aux pieds du passager avant (celui derrière doit avoir les jambes libres pour manœuvrer) ; derrière les sièges ; et enfin sur le kayak, bien arrimé dans des sacoches étanches à l’avant, arrière et milieu.

Il faut ensuite se glisser dans la combinaison. Celle-ci est parfaitement étanche avec des joints au niveau des poignets et du cou. En une pièce, elle couvre les pieds, encore insérés dans des chaussettes pour préserver les manchons. On s’arrache les cheveux en la mettant, mais la technique est vite acquise. Elle n’est pas chaude et on peut y entrer tout habillé.

Deux personnes peuvent ensuite porter le kayak jusqu’à l’eau s’il est vide, huit sont nécessaires s’il est plein, et avec peine. On le tient par les habitacles et les câbles d’assurage qui scient les mains. A marée basse, ce peut être une véritable souffrance.

Le passager arrière pousse l’embarcation et à l’eau ! Mais le plus dur reste à venir : mettre sa jupe. Désormais assis sur l’eau, sa pagaie en main, empêtré dans sa combinaison et son gilet de sauvetage, il faut tendre une jupe étanche. Celle-ci nous enserre le torse sous le gilet et doit être déployée autour de l’habitacle. Cela évite que l’eau n’envahisse l’intérieur étanche et nous permet de nous dégager facilement si nous nous retournons. La tension à mettre est énorme pour tendre le gros élastique autour de soi. Plus que le froid et l’eau, c’est cette jupe qui aura provoqué le plus de jurons durant ce voyage. Pendant que l’un met sa jupe, l’autre doit maintenir le kayak en place pour éviter de dériver trop loin du groupe et rester face au vent.

Hormis en cas de vent ou de vagues, la navigation est aisée. Le pagayage, un peu technique au début, est vite maitrisé. Celui qui tient le gouvernail à l’arrière, grâce à des pédales à ses pieds, doit prendre en compte une inertie parfois difficile à évaluer, menant à quelques zigzagues et collisions.

Fanny en Kayak

Et rebelotte, à l’arrivée, vider les kayaks, les mettre à terre en prévoyant la marée, enlever les combinaisons…

Cette activité aura été paradoxalement une grosse contrainte et une belle découverte dans ce voyage. Parfois lourde et pénible, froide, humide, elle permet pourtant une étonnante liberté et un angle tout différent de la marche. Il est évident qu’une côte n’a pas le même visage si on la voit de loin ou si on marche dessus, mais la vie de la mer prend son ampleur lorsqu’on en fait partie. Le kayak m’évoque un peu le vélo, la même plénitude et la même frustration liée au sentiment d’être loin de ce que je veux voir, de ce à quoi je prends part. Je reste bel et bien un randonneur, malgré tout le plaisir et l’émerveillement que m’auront apportées ces frêles embarcations.

Svalbard, jour 2

Rencontre des habitants du Svalbard

Nous changerons deux fois de camps, aujourd’hui est la première. Dès le petit déjeuné avalé, nous plions les tentes, rempaquetons nos affaires et chargeons les kayaks. Chaque espace doit être rentabilisé, tous les coins de nos embarcations, chaque affaire placée stratégiquement au mieux de sa forme et de son usage : ce qui ne craint pas l’eau va dans les habitacles, les tentes que nous avons pris soins de plier de manière à ce qu’elles forment un cône se glissent aux pointes et les sacoches étanches sont réparties, équilibrée et harnachées sur le dessus. Au final, on met au moins autant de chose dans un kayak que dans un coffre de voiture. A onze heures trente, tout est prêt et nous embarquons.

Nous longeons la côte en direction de l’Isfjord et du dégagement. Nous contournerons la pointe et traverserons un petit fjord en direction de Alkhornet pour bivouaquer non loin. Ces quelques heures de kayak sont sublimes, la côte belle et variée, remplie d’oiseaux de mer qui nous escortent sur le trajet. J., mon coéquipier de la journée, se moque de mes compétences de navigation car nous zigzaguons pas mal, mais quelques passages sans accrocs entre des récifs me laissent penser que je ne m’en sors pas si mal.

Peu avant d’arriver, nous tombons sur un morse qui se dore au soleil sur la plage. Nous débarquons pour l’observer sans le déranger. C’est une créature immense. Il dort couché sur le flanc, agitant parfois ses pattes/nageoires, totalement désintéressé de nous, un filet de bave au lèvre dans un sommeil bienheureux.

Nous arrivons au second camp bien fatigués et le montage est difficile. Cette vie en itinérance n’offre que peu de moments de repos. Sans que ce rythme me dérange, j’y trouve une grande détente et une application salutaire.

En allant chercher de l’eau au ruisseau non loin du camp, des oiseaux nous attaquent. Dos au soleil, descente piquée sur nous pour nous éloigner du nid. Plus tard dans la soirée, des baleines passent dans le fjord devant notre camp, elles chassent et nous pouvons les observer à loisir. Leurs nageoires sortent dans un roulement gracieux, parfois surplombant une grande bosse et accompagnée à intervalles régulier d’un jet d’eau sonore lorsqu’elles plongent. Un nuage d’oiseau les surplombe, suivant le même banc de poissons qu’elles.

Baleine

Tour de garde – 2h30 à 4h30

F. termine sa garde et me réveille. C’est difficile de s’extraire, le sommeil était profond et réparateur, le sac douillet et il fait froid. Je sors en grelotant et prend le pistolet d’alerte.

Je commence par remplir quelques casseroles d’eau claire à la rivière pour me réchauffer, elles serviront au thé et au café du déjeuner et remplirons nos thermos d’eau chaude pour le repas de midi. Sur le chemin du retour, des oiseaux m’attaquent en criant rageusement, leur nid n’est pas loin. Je me sers finalement un thé au thermos encore chaud. Le soleil rase les crêtes sur l’autre rive du fjord, une brume flotte sur le dégagement de mer sans le couvrir, il n’y a que le bruit des vagues et des oiseaux. Je m’extasie de la beauté de l’endroit, de ce calme et de cette paix. Il est difficile de réaliser : sous un soleil de deux heures du matin, je monte la garde en cas d’arrivée d’un ours, assis sur une chaise bricolée en ossements de baleine, dans l’endroit sans doute le plus au nord où je n’irai jamais. Je suis emmitouflé dans polaire, doudoune, écharpe et coiffé d’un bonnet de laine, j’écris avec des gants, en plein mois de juillet et je viens de mettre de la crème solaire. Des rorquals passent pendant que j’écris ces lignes, je les entends sans les voir à cause du reflet du soleil dans l’eau, quelques oies sauvages se reposent sur la plage. Je ressens quelque chose d’indéfinissable, d’admiration, d’humilité et de reconnaissance.

Les oiseaux près du ruisseau s’énervent. Je ne vois pas l’intrus, caché derrière un relief, mais ça n’a rien de rassurant. Ils se calment finalement, sans doute un renard. Et l’heure avance, je vais passer la garde, rejoindre mon sac et finir ma nuit.

Svalbard, jour 1

Mise à l’eau

Lever groguis et nauséeux. Je prends une rapide douche, la dernière avant longtemps, pour me débarrasser des miasmes du voyage. Au moins, la crasse à venir sera la mienne.

Nous remplissons nos sacs étanches : 60 litres à partager pour deux ainsi qu’un sac de 30 litres chacun. Certains trouvent que c’est peu mais les nôtres sont à moitié vides. Nos habitudes de trek rendent l’opération plus facile et efficace. Il est en revanche très déstabilisant de laisser derrière nous le contenu habituel de nos poches : clefs, argent et passeport, les artéfacts de la civilisation inutiles lorsqu’il n’y a d’autres humains que nous.

Départ en bateau à neuf heures pour une traversée de l’Isfjord. C’est un gros bateau de ligne, utilitaire qui détonne avec les ferrys dont nous avons l’habitude. Il est certes destiné aux touristes mais pas un tourisme immobile et répétitif, il peut s’adapter à des besoins aussi divers que ces paysages peuvent l’exiger. Un guide à bord nous raconte un peu l’histoire du Svalbard, son importance dans les routes commerciales qui s’ouvrent avec la fonte des glaces, des conflits pour savoir qui sont les premiers à avoir occupé l’archipel (vikings, pomors et néerlandais). Nous profitons du paysage et de la mer, observons les oiseaux depuis la cabine du capitaine et espérons distinguer une baleine entre les vagues. Tout est matière à découverte, le trajet d’un peu plus de deux heures passe bien vite.

Branle-bas de combat lorsque le guide nous prévient de notre arrivée. Il nous faut charger le zodiaque de toutes nos affaires, être efficace et ne pas mélanger ni oublier les sacs. Deux allers-retours suffisent pour nous débarquer et rembarquer l’équipe déjà sur place. Ils sont resplendissants et sales, ravis de leur séjour.

Nous commençons par monter les tentes. Je constate avec plaisir que nous avons du super matériel, de bonnes tentes et un tipi pour manger tous ensemble à l’abri. Le camp est situé dans une tranchée sablonneuse, entre la moraine, la mer et la toundra. Autour de nous, des sommets pierreux et désolés, des étendues vides et quelques veines vertes où pousse un peu de végétation. Nous n’avons pas beaucoup de dégagement sur les terres, mais un abri contre le vent. Au beau milieu des tentes, dans une large flaque de marée, nous pouvons encore voir quelques gigantesques traces de pattes d’un ours blanc passé dans le camp un jour plus tôt. Elle est bien plus longue que mon pied et au moins trois fois plus large.

Svalbard - trace d'ours

Nous découvrons gentiment la vie du camp. Les repas seront majoritairement du lyophilisé agrémentés de boîtes et de quelques légumes et fruits frais ou sucreries. A midi purée les jours pairs, nouilles les jours impairs, pour garder la notion du temps, avec une soupe en sachet, un pain pour la journée et du pâté ou du poisson. Ça ne va pas être gastro mais tout passe très bien.

Un point que nous attendons tous concerne les tours de garde. Le pistolet lance fusée sert à effrayer l’ours, il est toujours disponible au camp. S’il ne l’est pas, c’est que quelqu’un manque (comprendre “aux toilettes” car interdiction de s’éloigner pour autre chose). On apprend à le manipuler, ouvrir, charger, armer, tirer (à blanc), désarmer, décharger. Le guide, lui, a un fusil pour les cas extrêmes. Ça arrive quelques fois chaque année qu’un ours soit abattu dans la région, lorsqu’il est trop agressif, mais très rarement par les voyageurs.

Les expéditions aux toilettes sont particulièrement spectaculaires : le gros pistolet dans une main, le rouleau de PQ dans l’autre, avec toujours cette petite crainte de voir l’ours surgir alors qu’on est à ses affaires.

Première virée en kayak, nous revêtons nos combinaisons étanches et embarquons en direction du glacier au fond du Fjord. Ce n’est pas si aisé à naviguer. Ramer demande un minimum de concentration ainsi que manœuvrer, mais nous prenons vite le pli. Je ressens un immense sentiment de plénitude à me sentir briser les flots dans ce silence et cette désolation. Le kayak ne nous épargne pas un constant contact avec l’eau et je sens la mer avec une intensité délicieuse. Des morceaux de glace tirés par la marée descendante viennent et flottent à nous, raclant les coques de nos minuscules embarcations.

Arrivés près du glacier, nous sommes tous scotchés en admiration. Nous flottons à 78°N, des oiseaux polaires volent au-dessus de nous, mouettes, pingouins, sternes. L’immense falaise de glace face à nous craque, parfois de gros blocs s’en détachent et tombent dans un bruit de tonnerre. Un vent polaire me caresse le visage, je réalise petit à petit que je suis au bout du monde.

Glacier

Svalbard, arrivée

Arrivée sur l’île

La canicule fait encore suer à Oslo lorsque nous nous changeons à l’aéroport, au dernier moment, pour mettre nos vêtements chauds. C’est sans doute la première fois que j’apprécie l’abus de climatisation. Nous quittons le long couché de soleil pour le rattraper dans le ciel, il ne nous quittera plus pour toute la durée de notre séjour.

Après trois heures au-dessus d’une mer de brouillard, le pilote annonce l’atterrissage. Nous descendons lentement, les couches cotonneuses se succèdent, nous sommes collés au hublot. Puis soudain, le Svalbard se dévoile. De longues crêtes brunes grises et parfois verdâtres grattent les nuages. C’est un désert que nous survolons, aucun signe de végétation et seulement quelques rares et discrètes marques d’une présence humaine. C’est puissant et terrifiant, en rien comparable à ce que j’avais déjà vu. Nous longeons les reliefs durant plusieurs minutes, descendons entre ces montagnes pour finalement nous poser sans prévenir au milieu de rien.

Le froid nous pique le visage lorsque nous sortons de l’avions à une heure du matin, la lumière blanche nous éblouit, je me sens comme en plein décalage horaire. L’aéroport est minuscule et nous retrouvons rapidement notre guide, Jon, et le reste du groupe. Après le petit moment de suspense pour voir si nos bagages nous ont bien suivis, nous prenons un bus qui nous emmène à notre hôtel.

Nous traversons Longyearbyen, petite ville dans une vallée grise, bordée de falaises grises et de l’eau grise de l’Isfjord, sous un ciel gris et bas. Les seules couleurs viennent des maisons utilitaires et sans charme agencées comme dans un grand chantier.

Nous logerons pour cette nuit à l’hôtel des mineurs, situé en bordure de la ville sous une mine désaffectée. Plusieurs baraquements la composent et offrent un confort rudimentaire, un peu comme une cabane de montagne. Au-dessus sur la falaise rocailleuse, un vestige de l’entrée d’une mine marque l’endroit de son histoire. Le guide nous réunit à 2 heures du matin dans une petite salle à manger et nous fait un rapide topo : le bateau de ligne qui nous déposera à notre premier camp part à neuf heure. Il nous faut encore essayer nos combinaisons de kayak et nos bottes, récupérer tout le matériel de navigation et répartir nos affaires personnelles dans des sacs étanches.

Arrivée à Longyearbyen

Nous terminons à quatre heures dans notre chambre, bien fatigués et pourtant surexcités, un peu stressés, en plein jour, à aller nous coucher pour quelques heures. Je crains à raison que la “nuit” ne soit pas très réparatrice.

Alors que j’essaye de m’endormir, avec sur la rétine encore imprimés ces paysages de grand nord, s’impose à mon esprit une phrase sans doute lue dans un livre “c’est une terre oubliée de dieu”. Pourtant, la beauté est là, éblouissante et hostile en toute majesté.

Voyage au Svalbard

Eté 2019

Récit d’un voyage organisé en groupe, à la découverte du Spitzberg, aussi nommé Svalbard, une archipel d’île au delà du cercle polaire, à 78°N. Le grand nord que j’ai toujours voulu vivre. J’ai le plaisir d’être accompagné par ma copine qui se joint à l’aventure avec courage.