Svalbard, jour 5

Changement de camp

On plie le camp pour retourner à celui du premier jour. Le pliage des tentes, le remplissage des kayaks, la répartition de nos affaires est une affaire qui roule.

Le temps est sublime, je me baigne. L’eau est très froide, 8° environ selon le guide, mais ça fait du bien. Une baignade dans une mer arctique, je ne peux y voir autre chose qu’un genre de baptême, comme l’est chaque voyage.

Baignade en mer polaire

Il n’y a aucun vent, la marée est porteuse, le soleil radieux, le trajet en kayak se passe à merveille. J’embarque avec F., elle peine un peu à le diriger mais nous ramons bien.

En cours de route, nous nous arrêtons pour manger sur la plage et allons faire trois pas pour voir le squelette d’un ours. La tête est impressionnante. Je reste à espérer en voir un malgré la peur que suscite cet animal, et le danger qu’il représente.

Pour se débarrasser du sel sur sa combinaison de kayak, Jon se rince dans l’eau, flottant, tout gonflé. Amusés, nous suivons tous son exemple. L’étanchéité est parfaite, l’air contenu remonte et nous transforme en grosses bouées.

Après le repas, une grosse marée basse nous oblige à mettre les bottes et nous avancer de plusieurs dizaines de mètres dans l’eau pour faire la vaisselle au milieu d’un tapis d’algues. C’est F. qui s’y colle car elle prend le 1er tour de garde, aidée par deux bonnes âmes.

Vaisselle compliquée

Tour de garde – 00h45-2h45

Je prends le deuxième quart. F. me réveille et je me lève sans peine. Le soleil s’est caché, ou plutôt le camp est à l’ombre des moraines qui le bordent et un petit vent mordant s’est levé. Au moins, pas besoin de crème solaire cette nuit. Je monte sur les reliefs autour du camp pour trouver le soleil et me réchauffer, attentif, car la visibilité est limitée dans ce terrain. La marée remonte et un balai de sternes pêche encore sur la plage. Elles sont très amusantes à observer : vol stationnaire d’une précision parfaite, piqué dans l’eau où elles attrapent leur proie, puis remontée presque aussi vive pour s’éloigner de quelques coups d’aile. J’entends au loin les coups de tonnerre du glacier qui craque. Un gros nuage cotonneux glisse sur la montagne qui sépare les deux fjords où nous avons campés, doucement et majestueux, le recouvrant petit à petit. Les gardes qui me suivent risque d’être fraîches s’il s’installe.

Campement

J’espère apercevoir le renard polaire qui lui espère profiter de nos provisions, mais il reste invisible.

Je m’étonne un peu de la facilité avec laquelle je vis la rudesse de ce voyage. Quand F. me demandait comment je me sentais, je lui ai répondu que j’étais dans mon élément et c’est là réellement mon ressenti. J’échangerais avec un grand plaisir, même un soulagement, la douche chaude tant rêvée contre quelques jours de plus ici. La vie à la dure est juste, plus vraie, plus lente, plus sauvage, elle pousse dans d’autres extrêmes mais n’est pas forcément plus exigeante. L’introspection est favorisée, elle coupe tout réflexe du quotidien et permet une immersion dans le paysage de tout moment. Aucun toit ne permet ça. F. s’en sort très bien. Elle reste atteinte par les difficultés et l’inconfort mais affronte et va au bout. Je me demande comment serait ce voyage sans elle et une chose me vient immédiatement en tête : en tout cas pas mieux, sans doute moins beau.

Un bécasseau creuse à côté de moi dans les algues sèches, je vais me servir une tisane pour me réchauffer et remplir la gamelle au ruisseau.